Les amis ça sert à ça aussi

Tout le monde avait encore la fusillade dans l'esprit, Seth y compris. Il s'était renfermé chez lui pendant quelques jours, jusqu'à ce qu'une cellulle phychologique avait été mise en place au lycée pour les étudiants ayant perdu un membre de leur famille ou un ami. Il avait fait acte de présence, mais le cœur n'y était pas. Il n'avait plus goût à grand chose en réalité. Il mangeait, mais il n'avait pas vraiment faim, il avait du mal à dormir et à se concentrer. Beaucoup de monde l'avait appelé, ses parents compris lorsqu'ils avaient eu vent de l'incident, et il répondait à la moitié, le cœur n'y étant jamais vraiment. On lui demandait des nouvelles, et il répondait avec le plus de joie possible, manifestement sa colère contre l'évènement, son soulagement d'en être sorti ou la peur de revoir quelque chose de tel se produire. Jamais il n'évoquait qu'il y avait perdu beaucoup, beaucoup trop. Il avait mis son amour de coté car il n'en avait jamais parlé à personne, et presque personne ne le savait. L'ironie du sort était que, dans un moment de pression, il avait avoué à sa pire ennemie, Eden Pastrow, presque la totalité de l'histoire. Il n'avait jamais dit qu'il était amoureux, mais avait parlé d'une fille morte à laquelle il avait été grandement attachée. Malgré cela, il pensait qu'avec son vif esprit de déduction, elle avait du remettre les choses dans l'ordre, mais en tout cas, elle ne le lui avait pas dit.

Pendant les six derniers jours, il avait reçu beaucoup de messages d'Azalyne. Il savait qu'ils étaient sincères et qu'elle s'inquiétait vis à vis de lui, parce que c'était sa seule véritable amie. Elle avait été choquée elle aussi, d'autant qu'elle avait du soigner les victimes collatérales qui avaient défilé à l'hopital, et les blessés graves qui s'y trouvaient toujours. Elle lui avait même proposé un rendez-vous dans la semaine, et Seth savait que cela lui ferait du bien de sortir et de voir quelqu'un, autre que le personnel de l'établissement scolaire, alors il avait accepté. Sans vraiment de joie, mais comme pour la remercier de lui consacrer un peu de son temps. Pour cela, il avancait à présent vers le parc de la ville. Il y avait un peu de monde, mais bien moins que par le passé. Les gens recommençaient à sortir de chez eux sans la crainte d'être de nouveau attaqués, la police circulant beaucoup dans la rue, controlant et surveillant, mais Seth ne se sentait plus en sécurité du tout. D'un naturel assez méfiant, il évitait maintenant le plus de monde possible, faisait plus attention aux détails, aux attitudes. Il lui fallait un peu de temps pour se remettre, c'était tout, mais la fusillade avait changé l'esprit d'une grande partie de la population, c'était indéniable, et il n'était qu'une victime de plus.

Il aperçut Aza assise sur un banc, le regard perdu en direction des passants, des joueurs de base-ball sur les terrains adéquats, des promeneurs solitaires ou allongés dans l'herbe. L'air était frais, plus froid, et le soleil était au rendez-vous. C'était une bonne journée. Il s'approcha de la jeune femme qui tourna le regard vers lui au moment ou il s'avancait. « Salut » dit-il simplement en s'asseyant à coté d'elle. Elle n'avait pas trop changé. Il lui semblait qu'elle n'avait perdu personne, mais il avait appris que l'homme qui avait été arrêté comme coupable faisait partie de son entourage. Il ne savait pas comment elle réagissait à cela. « Ca fait du bien un peu d'air... Ca fait longtemps que je ne suis pas sorti au parc ». Pour l'instant, il ne voulait pas aborder le sujet qui fâche. Il évitait délibérément la conversation, et il espérait que la jeune femme le comprendrait. Plus tard peut être, il pourrait parler et lui révéler ce qu'il avait vraiment sur le cœur. Depuis la fois ou elle avait atterri complètement ivre chez lui, c'était à lui de profiter de sa présence, de sa chaleur et de son amitié.

Les amis ça sert à ça aussi

Se lever de son lit et faire un effort surhumain pour s'habiller, manger un truc et se rendre au boulot. Il connaissait. Il avait déjà vécu de ces matins ou on a envie de rien, de ne voir personne, de rester coucher et de dormir alors qu'on a un tas de choses à faire. Malheureusement, c'était les jours ou ne voulait rien avoir à accomplir qu'on nous demandait de nous bouger, qu'on demandait un service ou un truc du genre. Cela avait le don de le mettre de mauvais poil, lui qui n'était jamais vraiment énervé. Parfois c'était pour la bonne cause, comme aujourd'hui car il n'avait pas vu Azalyne depuis longtemps. Il comprenait maintenant ce que c'était que d'avoir une personne sincère à ses cotés, mais il avait parfois du mal à s'y prendre. Il ne savait pas comment réagir face à une amie. Devait-il la prendre dans ses bras pour lui dire bonjour, l'embrasser, lui taper dans le dos comme avec un mec ? Et comment devait-il se comporter ? On excluait drague et blagues de cul, mais le reste ? Est-ce que les filles normales parlaient de fleurs et de petits oiseaux comme dans les films ? Il avait été ami avec elle étant adolescent, à l'époque ou les discussions n'étaient pas des plus spirituelles et toujours à peu près autour des mêmes sujets de drogue, d'alcool ou de sexe, mais là, ils étaient adultes, et c'était comme s'il la revoyait après toutes ces années alors que la dernière fois, c'était la semaine dernière.

La jeune femme semblait s'y prendre mieux que lui parce qu'elle l'étreignit alors qu'il venait de s'asseoir. Un peu gêné, il ne savait pas trop s'il devait faire quelque chose de ses mains et si ça ne serait pas mal vu de les passer dans son dos ? Parce qu'il avait déjà pris Lily dans ses bras et il avait toujours fait ça et elle en riait. Là, le contexte était plus sérieux, et surtout, Aza n'était pas elle, malheureusement. Elle aussi semblait contente de le voir, et elle le lui dit. Elle pouvait parler gentiment aussi. Cela faisait longtemps qu'il ne l'avait pas vue ainsi, ils étaient passés d'amants à couple, d'ex à inconnus et ils étaient redevenus amis peu de temps avant. Il y avait de quoi se perdre. Elle lui tendit directement un paquet plus ou moins bien emballé et il le prit avec surprise. « C'est pour moi ? Mais euh... Je n'ai rien pour toi » bafouilla t-il en lui jetant un regard intrigué. Il le déballa avec empressement pour en sortir un parfum. Il y avait une petite carte blanche dessus et il l'ouvrit. Elle comportait une citation d'Epicure qu'il connaissait très bien. « Ce n’est pas tant l’intervention de nos amis qui nous aide mais le fait de savoir que nous pourrons toujours compter sur eux ». lut-il avant de reposer le tout. En réalité, il était ému. « C'est... c'est vraiment gentil Aza, on ne m'a jamais fait de cadeaux... » dit-il la voix un peu serrée. Ce n'était pas vraiment vrai. On lui avait déjà offert des trucs, mais rien ne venait autant du cœur. Il avait toujours demandé ou alors ce n'était jamais gratuit. Mais là, c'était le cas. Il aurait presque pu en pleurer. Elle faisait beaucoup pour lui et il ne le méritait même pas. S'il n'avait pas été en public, peut être aurait-il versé des larmes, mais là il devait se retenir, ce n'était pas le moment. « Je ne sais pas quoi dire » ajouta t-il avant d'ouvrir le flacon et de sentir. Il sentait très bon. Tout à fait son genre. Elle le connaissait bien, plus que lui ne la connaissait. Mais lui savait aussi qu'elle n'était pas très heureuse en ce moment. Cela se voyait sur son visage. La fusillade, la mort de son père, sa rupture avec Wade... Tout cela avait du l'ébranler aussi, mais elle trouvait la force d'être là avec lui. « On peut compter l'un sur l'autre alors... » marmonna t-il en regardant ses mains et le flacon. « Je peux te parler de quelque chose Aza ? » demanda t-il en se tournant vers elle. Sa décision était prise. Il devait avoir le point de vue d'une amie.

Les amis ça sert à ça aussi

Il aurait sûrement pu disserter de longues heures sur les vertus de l'amitié, cela ne l'aurait pas changé pour autant. C'était un sujet plaisant, captivant, mais il n'avais jamais fait l'effort d'aller voir plus loin, alors que c'était un peu son travail en temps que prof de philo. Etre ami avec quelqu'un, ce n'était pas son truc. Tout ce qui concernait les liens en fait. La dépendance. Comme avec la drogue. Il connaissait les ravages de tout ces trucs qu'on disait éternels mais qui pouvaient se briser avec le temps, avec un mot plus haut que l'autre, et tout un tas d'attitudes qui ne correspondaient pas avec la vision que l'autre avait. Avec un ami, il devait se tenir tranquille, aborder des sujets intéressants, avec une copine il devait être prêt à fournir des efforts particuliers, des cadeaux justement, des bonnes paroles. Tout ce qui pour Seth représentait l'enfermement. Jusqu'alors il avait toujours cru qu'il n'avait pas eu besoin d'ami, comme il n'avait pas eu besoin d'amour. La mort de Lily aurait pu l'éloigner de tout le monde et c'était un peu ce qui était arrivé en fait, sauf avec Aza. Pourquoi avec elle ? C'était à ce le demander. Parce qu'elle croyait en lui peut être. Pour l'amour par contre, c'était foutu. Plus jamais il n'aimerait une fille, il se le promettait. En amitié, il pouvait faire des efforts. Il avait su la réconforter quand elle avait débarqué chez lui, alors, elle pouvait très bien y arriver aussi.

Elle semblait contente du cadeau, et qu'il lui plaise surtout. C'était une délicate attention, et même si celui-ci avait été pourri, il aurait été émerveillé quand même et l'aurai remerciée sans mentir. « Je le porterai alors, et je penserai à toi du coup. Merci » dit-il en testant sur l'instant le parfum avant de le mettre dans son sac. Bon sang, ce don l'avait ébranlé plus qu'il ne l'aurait voulu. Lui qui s'était toujours targué d'être fort, d'avoir du sang froid et du contrôle, il s'était pendant un instant senti flancher. Il n'en avait pas le droit, ce n'était pas dans sa nature. Lily avait du contrôle et du sang froid. Il devait faire ça pour elle. Elle avait beaucoup de choses qu'il n'avait pas. Il se souvenait encore du jour ou elle lui avait avoué pour sa maladie, ou elle avait réussi à lui cracher au visage que... la scène lui revint en tête, et il tenta de la chasser à tout prix. Il devait arrêter de penser à elle, elle était morte. MORTE. Tuée par une balle devant lui. Cela avait de quoi le dégouter, le démoraliser, le perdre. Aza était bien vivante elle, elle était là, et il voyait qu'elle avait envie de l'aider. Il l'entendait le lui dire, dans sa torpeur. Elle ferait en sorte d'être là pour lui, et c'était tout ce dont il avait besoin. « Je peux te parler de quelque chose Aza ? »  lui demanda t-il et elle affirma qu'elle était prête à l'écouter. Mais lui se demandait encore si c'était une bonne idée, si ce n'était pas trop tôt. Il voulait faire son deuil tout seul. Il ne voulait pas se confier, pas lui révéler cette part de lui qu'il avait réussi à cacher à tout le monde. Mais s'il ne le faisait pas maintenant, quand, et à qui ? Il pourrait garder cela éternellement pour lui, mais il voyait bien que cela ne l'avait pas aidé. Pendant une semaine il avait dépéri, et il savait bien que c'était à cause de ça. « Ecoute... En fait... » commença t-il en sentant ses mains se crisper autour de la boule de papier cadeau qu'il avait froissé entre temps, dans une tentative de défouloir. « Il y a eu une fille » lâcha t-il en désespoir de cause. Il se prit la tête entre les mains, en évitant de la regarder. Il ne voulait rien voir, surtout pas les couples dans le parc, pas les enfants, pas tous ces gens heureux alors que eux ne l'étaient pas. « Elle est morte » acheva t-il avec amertume. Avec colère, il balança la boule le plus loin qu'il put sur le chemin. Tant pis pour les écologistes. C'était à cause de lui qu'elle n'était plus là. Il l'avait laissée se prendre une balle alors qu'elle le serrait dans ses bras. A cause de ça, il s'en voudrait toute sa vie. Voila pourquoi cela lui faisait encore plus mal que tout. C'était sa faute. Il n'aurait pas du être là bas ce jour là, ainsi elle ne serait pas venue vers lui. « C'est moi. C'est moi qui l'ai tuée... Si elle n'était pas venue, c'est moi qui ne serait plus là... » Il avait du mal à continuer. Il pensait qu'il aurait pu survivre à ça, contrôler son émotion, mais c'était dur. Mais il savait que c'était à cause de lui, même Azalyne ne pourrait pas le nier. Et cela le détruirait, surement à petits feux, encore et encore...

Les amis ça sert à ça aussi

Tout était si dur à dire, surtout pour lui qui n'avait jamais parlé de choses intimes à personne. Il avait toujours réussi à tout garder pour lui, et c'était cela qui lui disait qu'il était différent des autres. Il avait en horreur les gens qui ne savaient pas se tenir, qui se plaignaient de tout ce qui pouvait leur arriver, et voilà qu'il s'apprêtait à en devenir un. Il savait pourtant qu'il ne fallait jamais dévoiler les failles, n'importe qui de mal intentionné pouvait les retourner contre lui, mais pas Aza. Il savait bien qu'elle ne le ferait pas et qu'elle n'en parlerait à personne. Comment est-ce qu'il le savait ? C'était plutôt une sorte d'intuition, comme un pacte d'amitié. Elle lui offrait un cadeau, et il lui offrait une révélation. Quelque chose de triste qu'il avait vécu et qui représentait beaucoup à ses yeux. S'il voyait que cela la gênait, alors il arrêterait, c'était aussi simple que cela. Elle n'avait pas besoin de savoir cet aspect là de lui et de sa vie. C'était personnel, c'était émouvant. Pourtant, il tenait à le lui dire. Parce que c'était une fille, parce que c'était son amie, et parce qu'elle aussi avait perdu un être dont elle était amoureuse en se faisant larguer par Wade. Elle devait comprendre tout ce qu'il ressentait, d'autant qu'il savait qu'elle pensait que c'était de sa faute s'il l'avait quittée, à cause des médicaments, de la drogue et des tromperies.

Il ne voyait pas comment cela pouvait aller. Il comprenait qu'elle n'avait pas envie qu'il s'apitoie sur son sort, il lui avait sorti à peu près les mêmes choses quand c'était elle qui était dans l'impasse, à savoir qu'il fallait se battre, sortir la tête de l'eau et récupérer celui ou celle qu'on aimait. Dans son cas, c'était impossible, parce qu'elle n'était plus là. Cette seule pensée se suffisait à elle même. Et il l'avait tuée. Oui, il le savait qu'il l'avait tuée. Indirectement peut être, mais surtout, il n'avait pas empêché que cela ne se produise. Tout le temps qu'il avait passé avec elle avant cela avait été que peur et que doute quand à elle. Il s'était senti extremement coupable quand elle lui avait avoué qu'elle était malade, et là, c'était la même chose. Elle avait été si fragile dans ses bras, et il n'avait pas réussi à la protéger comme son devoir l'imposait. A la place, il l'avait inconsciemment attirée vers lui, et la balle s'était plantée dans son dos alors qu'il la tenait. S'il n'avait pas eu l'idée de se lever ce jour là, d'aller au supermarché, de prendre cette direction là, de revenir sur ses pas quand la première salve avait cessée, s'il ne l'avait pas vue et tendu les bras vers elle, rien de cela ne se serait passé. Elle serait là encore, à rire et jouer avec lui.

Il sentait l'effort louable d'Aza de dire quelque chose de juste et de rassurant. Il sentait la pression de sa main contre son dos mais cela ne lui faisait aucun bien, ce n'était qu'un fourmillement mais pour autant, elle était là quand même, et il n'avait jamais vu cet aspect de sa personnalité, comme elle ne l'avait jamais vu triste ou désemparé. Elle lui expliquait que ce n'était pas sa faute, qu'il n'aurait pas pu prévoir mais ce n'était pas vrai. Elle disait seulement cela pour le réconforter, mais elle devait penser le contraire, c'était obligé. « Bien sur que si c'est à cause de moi. Elle est venue vers moi et ses cons ont recommencé à tirer. J'aurais du rester éloigner de ce champ de bataille mais j'ai été stupide et je me suis approché. Je regretterai cette erreur toute ma vie ». Sans boule de papier dans les mains, il se sentait à présent démuni. Il aurait voulu frapper quelqu'un, donner un coup de pied dans le banc, n'importe quoi pour exprimer sa rage et son désespoir mais il n'y avait rien a part la jeune femme, et il ne pouvait pas lui faire mal. Il ne pouvait pas faire mal à la deuxième femme à laquelle il avait le plus tenu dans sa vie, à une amie, il ne pouvait pas. « Tu sais, je n'aurai pas de répit temps que je n'aurai pas trouvé ceux qui ont fait ça, tu le sais, je vais les retrouver et je vais leur faire payer » dit-il dans une colère sourde en tournant la tête vers elle, ses poings recroquevillés sur ses genoux. Elle avait parlé d'amie. Mais non, ce n'était pas une amie. Elle devait le savoir, elle le devait pour comprendre. Il était prêt à lui dire. Après tout qu'est ce que cela changeait ? Elle était morte et il ne la ferait pas revivre. « C'était pas une simple amie Aza, c'était bien plus que ça... » avoua t-il la gorge nouée en laissant la tristesse reprendre le pas sur sa colère et sur son sentiment de culpabilité. « Je crois que... que je ressentais quelque chose de plus... ». Il ne finit pas sa phrase. Bon sang non, il ne pouvait pas avouer que c'était de l'amour. Il savait que s'en était mais pendant si longtemps il avait voulu en faire abstraction, si bien qu'il ne l'avait jamais avoué à Lily. Le dire a Azalyne ne faisait pas partie de ses plans. Il ne voulait pas qu'elle le prenne en pitié, jamais.