Ça faisait moins d’un mois que je m’étais installée dans cette ville et je m’habituais peu à peu à ce nouvel horizon qui serait désormais le mien pour un certain laps de temps. Si avoir ma propre boutique donnait une sensation d’implantation à long terme, rien n’était moins sûr. Je détestais me sentir en prison et rien ni personne ne pourrait jamais me retenir. Pour autant, j’étais plutôt contente de voir que mon magasin, encore méconnu, commençait à accueillir de plus en plus de nouveaux clients. Il faut dire que j’avais veillé à ce que les rayons soient bien achalandés et qu’on y trouve toutes sortes de choses, du classique comme du plus original, de vieux groupes comme les derniers à la mode. Ça demandait d’être à la page et de connaître une large palette de chanteurs, musiciens et groupes mais vu qu’écouter de la musique était une de mes première passions et que je vivais presque avec un écouteur sur les oreilles, la tâche m’était beaucoup moins ardue qu’à d’autre. Non, ce qui serait plus délicat pour moi, ce serait le contact avec le client. D’une nature plutôt réservée, ça risquait de me jouer quelques tours mais habituée à porter un masque, ce ne devrait pas être trop difficile de sourire et d’être aimable.

Les yeux rivés sur la grande vitre qui donnait sur la devanture du magasin, mes pensées s’étaient perdues dans les notes d’une célèbre chanson de Radiohead. Je la trouvais si touchante et si triste. Et le fait qu’elle résonne doucement dans la boutique avait tendance à la rendre d’autant plus hypnotique. C’est le tintement des clochettes de la porte d’entrée qui me tira de mes rêveries. Installée derrière le tiroir-caisse, mon regard vint automatiquement se poser sur le nouvel arrivant. « Bonjour. » souriais-je, polie. Mais alors qu’en tant normal je me désintéressais temporairement du client potentiel pour le laisser regarder les articles avant de venir lui demander s’il avait besoin d’aide, l’homme qui venait d’entrer me fit replonger dans le passé. Son visage et son regard, je les avais déjà vues quelque part, j’en étais certaine. Cherchant dans ma mémoire, je ne mis pas longtemps à retrouver. A moins que ma mémoire ne me joue des tours, il se nommait Bastien O’Connor et sa mère était elle-aussi mannequin. J’avais eu l’occasion de la croiser sur quelques défilés il y a plusieurs années, presque à mes débuts. D’abord interdite, j’ignorais si je devais aller lui parler ou non. Après tout, il ne m’avait peut-être pas reconnu et il était aussi possible que je me trompe. Pourtant, dans son regard, il me semblait y avoir discerné le même doute que moi. Ne voulant pas le déranger et n’étant de toute façon pas très extravertie, je décidais finalement de rester à ma place. De toute façon, s’il achetait quelque chose, il viendrait forcément vers moi et je verrais bien à ce moment-là si c’était bien lui et s’il me reconnaissait.