Le fauteuil est confortable, le bureau et assez vieux jeu mais très ordré. Je tapote les accoudoirs à l’aide de mes doigts, impatient de parler avec le directeur de cette université. Après tout, si j’ai traversé l’atlantique, c’est bien pour être engagé ici coûte que coûte. Je n’ai pas envie de retourner en Allemagne. Vraiment pas. La porte s’ouvre et le directeur, Monsieur Presley, rentre dans son bureau en me souriant. Son ventre est sur le point de faire exploser les boutons de sa chemise et avec son visage rond et rouge on pourrait parfaitement le confondre avec un bavarois. Il a l’air amusant. Il se laisse tomber dans son fauteuil qui grince sous son poids.
« Monsieur Fischer. Ach. Ach. Ach. » Je rigole, bien que sa blague soit vraiment digne d’un enfant de dix ans. Je me passe une main nerveuse sur la nuque. Ca promet. Monsieur Presley jette un œil aux feuilles qu’il a sous les yeux. Mon dossier de candidature, puis, il croise ses mains potelées sur son bureau et me regarde par-dessus ses petites lunettes.
« Dites-moi… Dans quel but venez-vous vous installer à Siloam Springs ? Je veux dire… Je vois votre CV, je compare avec votre âge et je me dit qu’un petit génie millionnaire n'a sûrement pas de grand avenir à dans notre petite ville non ? » Je hausse les épaules et éclairci ma voix.
« Eh bien… J’aime tout simplement enseigner. J’ai envie de partager mes connaissances avec ces jeunes. J’ai travaillé pendant deux ans dans un laboratoire de recherche pour le compte de la NASA. J’ai vu ce qu'il y avait à voir. Rien que je ne connaissais pas encore. Mais j’ai justement envie de pouvoir transmettre ça à la nouvelle génération. » J’aurai pu lui dire la vérité mais je ne connais pas assez bien cette ville pour savoir comment ma fuite d’Allemagne serait prise. Et puis, ça me permet de repartir sur de nouvelles bases. De pouvoir faire table rase du passé. C’est bien pour ça que j’ai choisi la ville la plus éloignée de ma vie d’avant.
« Bien. Et pourquoi Siloam Springs ? » Je fais craquer mes jointures.
« Justement parce que c’est sûrement la ville où l’on s’attend le moins à voir débarquer un européen. C’était ce que je cherchais, à m’éloigner le plus de cette vie stressante et programmée de la ville. » Monsieur Presley me parle de mes choix pour la ville et de ma nouvelle profession parce qu’il sait qu’il n’y a pas besoin de parler de mon cursus. J’ai terminé des études qui se terminent en général à trente ans alors que je n’avais que vingt cinq ans. J’ai déjà travaillé pour la NASA juste grâce à mon QI et j’ai suivi des cours d’enseignement à l’université. Il n’a rien à me reprocher, il pourrait m’engager sur le champs mais je suppose qu’il y a quand même un certain protocole à suivre… Du coup, il me pose des questions sans importance pour faire comme s’il avait suivit le règlement à la lettre. Heureusement, ça ne dure pas plus longtemps.
« Voici votre horaire avec le numéro des salles. Je pense que vous pourriez bien vous entendre avec le professeur de philosophie. Je vous dit à lundi Monsieur Fisch. » « Fischer. » « Fischer, excusez-moi. On n’a pas beaucoup d’allemands à Siloam Springs. » Je lui souris poliment, reprend ma sacoche et sors de son bureau, heureux d’avoir trouvé un job. Bien que comme il l’a mentionné ; je n’en ai pas vraiment besoin pour vivre.
« Quartier ouest de Siloam Springs. Le Stone Inn, c’est un petit motel. Viens pour vingt trois heures. » Puis je quitte le café, mon gobelet en carton à la main. Une fois sorti, je jette un coup d’œil à travers les vitrines pour le regarder servir le prochain client. Aussi un client nocturne ? Ou il n’y a que moi ? Je ne pense pas qu’il ne tourne qu’avec une personne et son job de barista ici. Il doit avoir d’autres clients. Et rien que cette pensée me retourne l’estomac. Je jette mon gobelet de café bouillant dans la poubelle la plus proche, un goût amer dans la bouche.
Le soir même, mon taxi me pose devant ce fameux motel dont il m’a parlé. Je paie mon trajet puis sors du véhicule, un peu décontenancé de ce lieu de rendez-vous. Ce n’est que la troisième fois que l’on se voit mais Gillian m’avait habitué à quelque chose de moins… différent. Notre première rencontre s’est faite dans un des bars de la ville, au
« Mikhail's », puis la deuxième soirée que nous avons passée ensembles s’est déroulée chez moi. Tout simplement. Bref, j’ai envie de le voir. Je mets mes préjugés de côté et monte les quelques marches en bois qui me séparent du motel. Derrière le comptoir, une femme d’un certain âge me remarque et se met à fouiller dans son agenda. Sans un seul mot échangé, elle me donne un clé portant le numéro 3. Je tourne les talons vers l’escalier qui tombe en ruine puis cherche la chambre une fois arrivé à l’étage. Une fois trouvée, je dévérouille la porte et pénètre dans la petite pièce. Gillian est couché sur le lit en train de lire un livre. Il ne porte que son caleçon à motifs.
« Oh. Tu es venu finalement. » Je ferme la porte derrière moi, la verrouille et retire mon trench coat pendant que le jeune homme s’asseye en tailleur sur le lit, posant son livre sur le matelas.
« Je m’attendais à… plus sexy pour un gigolo. » Je me hisse sur le lit et me mets à genoux devant le jeune homme. Il lève les sourcils.
« Tu me considère comme un gigolo ? J’ai plutôt l’impression d’être ton garde du corps. » Je lui souris, il me dévisage. J’ai l’impression que mon corps tout entier est en train de se liquéfier.
« Tu vas me toucher au moins cette fois ? » Je sens comme une pointe de défi dans le ton de sa voix.
« Non pas que ça me dérange d’être payé pour juste regarder des films et boire du champagne hors de prix hein mais… » Je ne lève les yeux au ciel avant d’attraper ses boucles entre mes doigts. J’approche mon visage de son cou, son odeur m’enivrant immédiatement.
« Tu me donnerais presque des complexes Fischer. » Je m’écarte de son cou, mes yeux s’accrochant à son regard émeraude.
« J’ai vu qu’ils avaient un billard en bas. Ca te dit une ou deux parties ? » « Je peux choisir l’enjeu ? » Je secoue négativement la tête.
« Tu connais sûrement mieux les règles que moi ; je paye donc tu fais. Et si je veux jouer au billard… » Gillian s’approche de mes lèvres, j’arrive à l’arrêter à temps en attrapant sa nuque et en l’écartant de moi.
« D’habitude on me paie pour des pipes tu sais ? C’est mon job. » Je sens la colère monter en moi malgré moi.
« Je peux très bien rentrer chez moi si ça ne te plaît pas. » Son visage se transforme en un visage d’enfant suppliant mais je ne lâche rien. Il soupire.
« Va pour le billard. » Nous avons continué à nous voir comme ça, depuis mon arrivée à Siloam Springs, c’est à dire depuis deux mois. On se voit toutes les semaines au moins une fois. Maintenant nos rendez-vous ont lieu chez moi. Gillian doit rester discret sur ses clients et moi je ne tiens pas à retrouver la réputation que j’avais en Allemagne. Ce compromis nous va à tout les deux. Bien que le jeune homme attend un peu plus de nos soirées DVD…