la vie c'était censé être facile

Cher Journal,

Je suis obligé de t'appeler comme ça ou je peux éviter ? Parce que franchement, parler à une feuille de papier, c'est débile. Tu trouves pas ? Dans tous les cas, j'ai raison. Alors, commençons ce qui doit être commencé. Moi ? Tobias, Tobias Zimmerman, enchanté. Oui, je suis le parfait cliché du mec qui a des origines Allemandes. Mon deuxième prénom, c'est Hans. Je suis 100% Allemand au niveau des origines. Mais alors, qu'est-ce que je fous là ? Bah, je suis né à Saint-Louis, Missouri. La famille Zimmerman, enfin mon grand-père, a déménagé aux Etats-Unis dès qu'il a eu dix-huit ans. Pas un sou en poche, il s'est intégré dans une communauté allemande de Saint-Louis où il a rencontré ma mamie, Leona. Ensuite, rendez-vous, officiellement en couple, mariage, bébés...Et voilà comment est né mon enfoiré de père, un dénommé Klaus. Si lui, je le déteste, ma mère c'est une autre histoire. Son petit nom, c'est Ella. Ella Zimmerman après qu'elle l'ait épousé. Ma mère, elle est douce, bienveillante et bien trop bien pour lui. J'ai jamais compris pourquoi elle s'était marié avec cet ivrogne. Bon, la raison, c'est peut-être parce qu'elle était enceinte de moi et folle amoureuse, qui sait. Elle pensait pouvoir le faire changer mais non. Quand ils se sont connus, mon père était un garçon gentil, intelligent, bref le gendre parfait. Et puis, au fil du temps, il est devenu distant, a commencé à boire. Tout est parti en fumée, bien après que je sois né.

En parlant de moi, je suis né le 12 Août 1985. Aujourd'hui, j'ai 30 ans et j'en ai fait du chemin. On ne vivait pas comme des rois mais on vivait bien. Mon enfance a été paisible. J'avais des amis, je faisais du vélo, je jouais au foot, je parlais aussi bien allemand qu'anglais. J'étais un môme comme les autres.  A l'école, j'étais ni bon, ni mauvais. Au milieu quoi. Tout ça a changé le jour où j'ai eu 10 ans. Sans faire exprès, j'ai cassé un des trophées de mon père, ce qui l'a mis dans une colère noire. C'est la première fois où il m'a frappé sous le regard choqué de ma mère, qui n'a rien pu faire tellement elle était tétanisée. Un autre facteur était sa grossesse, ma mère attendait un enfant, une petite fille. Je pensais qu'il ne me battrait qu'une seule fois mais j'avais tort. J'étais largement loin du compte. Les années passèrent et ça arriva encore et encore, de plus en plus fréquemment. Dès que j'avais le malheur de faire une bêtise, je m'en prenais une. Naturellement maladroit et défiant l'autorité parentale dès que possible, je ne faisais rien pour améliorer la situation, je dois bien l'avouer. Mon père buvait de plus en plus. Whisky, scotch, vodka, tout y passait.

J'étais à présent dans l'adolescence, oui, cette période plus que compliquée. J'avais des amis, pas mal d'ailleurs, j'étais assez populaire. Sportif, guitariste, bref un mec cool. Les bleus et les cicatrices ? Je les cachais. Je n'étais pas fou. Cependant, certaines avaient échappées à ma vigilance, me mettant dans l'embarras.

« Encore un bleu Tobias ? Comment tu t'es fait ça ? S'indigna le coach. » « Je suis tombé coach. » « Encore ? Tu tombes beaucoup ces temps-ci. » « Oui, je suis très maladroit...Est-ce que je peux retourner m'entraîner ? » Et il accepta sans détacher son regard du bleu de Tobias. Le coach suspectait définitivement quelque chose mais il ne pouvait rien faire si l'adolescent ne parlait pas.

J'aurai pu parler ce jour-là mais je ne l'ai pas fait. Trop fierté peut-être. Dans tous les cas, je n'ai pas dit un mot. A cette époque, je suis sorti avec pas mal de filles. Voire un peu trop même. Je me disais que je devais profiter de ma jeunesse. Puis y'a eu ce mec. Ouais, un mec, vous avez bien lu. Lui, il avait un truc. Je me sentais fragile lorsqu'on marchait l'un à côté de l'autre. Je me sentais différent. Il arrivait à me faire sourire pour un rien. Une blague nulle, un air de guitare. Stupide, ouais. Je suis tombé amoureux de lui dès que je l'ai vu. Pourtant, j'aime pas les mecs, j'en suis sûr. Mais lui, c'était l'exception. Je ne lui ai jamais dit. Je ne l'ai jamais embrassé mais je l'aimais, que ce soit amicalement ou plus.

J'ai grandi. Difficilement mais j'ai grandi. Les coups ? Ils n'ont pas cessé. Je voulais devenir joueur de baseball professionnel et j'aurai pu. J'avais le talent, m'avait-on dit. Sauf que mon père en a décidé autrement. Un soir, il était bourré, pour ne pas changer. Je suis rentré après le couvre-feu. Je m'en suis pris une, puis une autre. Jusqu'à ce qu'il attrape ma batte fétiche, je pensais que ce serait comme les autres soirs. J'avais tort. Cette fois-ci, il s'est acharné sur moi, allant jusqu'à me casser le bras gauche. C'est comme ça qu'il a brisé mes rêves de passer pro. Ma mère m'a emmené à l'hôpital. Elle n'était pas là quand ça s'est produit. Elle dormait alors que je me faisais massacrer.

« Je ne rentrerai pas, dit Tobias, allongé sur son lit d'hôpital. » « Tobi, Ich...» « Nein, ich kann nicht. Ich bin sorry mama. » Elle n'avait pas cessé de tenir la main de son petit garçon, qui n'était plus si petit. « Ich liebe dich son. » Et elle l'avait partir. Elle l'aiderait à faire ses bagages dès qu'il serait en état. Ella savait très bien que son fils ne méritait pas les coups qu'il recevait. Néanmoins, elle n'avait pas la force de se mettre en lui et son père. La peur sans aucun doute. Tobias ne lui en voulait pas. Il la comprenait et voulait juste la protéger.

Et c'est comme ça que j'ai quitté Saint-Louis. Mes affaires dans un seul sac, une seule destination : l'Arkansas. Je devais cicatriser mes blessures, pas physiquement mais mentalement. Ouais, la vie, c'était censé être facile. Je me suis rendu chez la sœur de ma mère, Louise. Elle a accepté de me prendre sous son aile à condition que je l'aide dans la vie quotidienne. Tout s'est toujours bien passé entre nous. Louise n'a jamais aimé mon père et je la comprends. Puisque je ne pouvais pas devenir professionnel dans le monde du baseball, j'ai choisi une autre voie : je suis devenu pompier. Oui, je suis pas le pompier idéal. Pas le gentil garçon mais je fais bien mon job. J'avoue que je me suis noyé dans cet univers de flammes pour oublier le passé et les doutes que j'ai pu avoir concernant beaucoup de choses...

Les années ont passé encore un peu plus vite. J'ai enchaîné les filles, les cuites et les journées. Puis un jour, elle est arrivée dans ma vie, un peu par hasard. Son chat, coincé dans un arbre. Qui on appelle ? Moi. Stupide ? Ah non, c'est pire que ça. J'ai toujours joué la carte du macho pour mieux cacher ce que je ressentais à l'égard des femmes mais surtout des hommes. Cependant, ça n'a pas marché avec elle. Elle semblait si fragile, si douce que je ne pouvais pas. Je lui ai rendu son chat, Pamplemousse. Ce nom, elle a du le choisir en faisant ses courses. C'est à ma remarque qu'elle a souri. On a échangé nos numéros, juste comme ça. Et là, au jour d'aujourd'hui, on est fiancés. Que s'est-il passé ? On a appris à se connaître. Elle accepte mes défauts, mes maladresses, l'affection que je n'arrive pas à lui donner. Je me demande vraiment pourquoi. L'amour ? Peut-être. Est-ce que je l'aime ? Peut-être, peut-être pas. Moi, je sais pas aimer. C'est pas mon genre. Pourtant, y'a un truc. Je ressens une sorte de lien. J'ai envie de la protéger, qu'elle soit heureuse. C'est ça, aimer ? Je crois pas. Je lui dis quand même 'je t'aime'. Elle aime l'entendre même si je ne le pense pas. L'amour, c'est pas ça. Sarah, j'aimerais qu'elle me pardonne d'être comme ça. De ne pas être l'homme qu'elle attendait.

Si je ne suis pas sûr de l'aimer, c'est aussi à cause d'un de ses amis. Lui, il me saoule. Je ne le supporte pas et pourtant, y'a ce putain de truc. Comme il y a 15 ans. Cette même chose indescriptible qui me donne envie de lui foutre mon poing sur la gueule mais aussi de le coller contre un mur pour l'embrasser à pleine bouche. Cher Journal ne raconte à personne ce que j'ai écrit. Tu sais, je suis Tobias Hans Zimmerman, je suis pas un mec comme ça. Je suis pas différent, je ne veux pas l'être. J'ai peur. Bah ouais, je le redis mais la vie, c'était censé être facile.