C'est l'histoire de votre vie, le cycle éternel ♪♫

Elle ne l'aimait plus comme au premier jour. La passion s'en était allée comme on perd de vieilles manies, sans que l'on ne le remarque et alors qu'elle tournait le dos à l'homme qu'elle avait épousé, Elizabeth soupirait de cette révélation. Au début, elle a refusé l'évidence, elle a accepté que ces livres de coaching avaient raison : « la passion c'est trois ans, mais le meilleur vint après ». Elle avait eu de la chance, cela faisait six ans qu'elle l'aimait aveuglément. Elle avait eu de la chance… Elizabeth continua son quotidien, elle allait retrouver ses amies et y parlait en des termes élogieux de son mariage. Elle racontait leurs week-end en amoureux comme s'il s'était s'agit de grandes escapades et personne ne pouvait deviner que derrière chaque étreinte, se cachait un soupir déçu.

Craig vit son épouse se mettre aux fourneaux, elle qui pourtant rabâchait que les années 70 s'étaient loin derrière eux. Elle accédait à toutes ses faveurs, était prévenante, affectueuse, redevenant la femme du premier jour, la jeune fille un peu gauche du lycée. C'était comme assister à une renaissance, il se délectait de son sourire et de ses étreintes. Son moral au beau fixe, lui qui avait un peu craint qu'elle ne lui fasse une petite déprime ces derniers temps, était pleinement rassuré. Il se consacrait à l'entreprise viticole qu'il dirigeait, évoluait dans le milieu familiale bourgeois rayonnant de bonheur, espérant, un peu, secrètement attirer la jalousie de ses beaux-parents. Ils avaient douté de leurs unions, trouvant leur fille bien au dessus de lui mais regardez, belle famille, nous sommes aussi aisés qu'heureux. Les mois passèrent sans qu'un caillou ne vienne enrailler la machine, jusqu'à ce qu'un petit ventre rond ne vienne les combler.


Beatrix Carmen était leur merveille, ce tout petit bout de femme comblait par ses rires comme ses pleurs Craig qui la montrait à tous comme un trophé. Elizabeth eut bien le traditionnel baby blues mais il ne s'y attarda pas, leur merveille allait combler rapidement sa mère. Elle eut droit à tout ce qu'un enfant peut espérer et même plus encore. Jamais un non ne fit plisser son front d'un air soucieux, jamais de caprice car il anticipait ses envies et quant à la mère, si jamais elle ne fut aussi enthousiaste devant l'enfant, elle ne s'opposait pas au papa. Primaire, collège, la vie s'écoulait pour les Jane qui formaient une famille sans encombre, un couple unit, lisse, voisins typiques pour cette petite ville. Leur fille unique leur suffisait, Elizabeth ne se sentant pas de mettre son corps en danger pour un deuxième enfant, Craig fut déçu mais s'en accommoda. Il avait de la chance, sa petite était sociable, joyeuse ; intégrée elle jouait à la petite reine, dirigeait ses camarades de classe et quant aux repas de famille, elle se débrouillait toujours pour attirer l'attention. D'aucun dirons que c'était une peste, lui n'y voyait qu'une héritière. Très tôt il lui parla de reprendre l'entreprise familiale, à peine savait-elle parler qu'il l'emmenait à son bureau, la mettait en voiture pour aller voir les vignobles. Ce n'est pas la place d'une jeune fille, soufflait Elizabeth mais Beatrix était déjà dans la voiture, impatiente de courir parmi les raisins.  

Je crois que j'aurais dû partir dès mon premier soupir. A l'instant où j'ai compris que rien ne saurait plus comme avant, j'aurais dû partir. M'acharner à ignorer que je ne l'aimais plus n'a fait qu'empirer la situation. Je me méprise. J'aurais dû être forte, claquer la porte, accepter le regard déçue de ma famille, les moqueries de  mes amies. J'aurais dû… et la voilà qui rit, chante et moi qui ne l'aime pas. Une mère sans instinct maternelle, voilà ce que je suis.

Beatrix grandit, ses amitiés s’effilochèrent, la faute à son sale caractère mais elle s'en foutait. Ses amours étaient tout aussi fugace mais elle faisait comme si cela ne la dérangeait pas. Pourtant, elle aurait été heureuse que son amour de première année de lycée soit celui qui lui passerait la bague au doigt. Elle l'aimait beaucoup, pas follement mais pour elle, c'était évident qu'elle sera fiancée à peine les études supérieures entamées. Fêtes, nuit blanche, elle profitait de la vie avidement car elle allait vite se terminer. Sa mère le lui avait montré, son père le lui avait dit : aime, épouse, travaille pour la famille. C'était tracé, c'était même pas envisageable de remettre le modèle en cause et cela ne lui pesait pas. C'était comme ça, voilà tout.

Je l'ai fais exprès. J'avais remarqué que Beatrix volait parfois un peu d'argent dans mon porte-feuille, m'empruntait mon rouge à lèvres… je l'ai fais exprès. Mon portable, le reçu de l'hôtel, tout était en évidence à côté de l'argent et du rouge. Curieuse comme ma fille l'est, elle ne pu résister, mon téléphone, déverrouillé, c'était une aubaine. Je crois que si elle n'avait pas saisi l'occasion, j'en aurais créé de nouvelles. Mais elle a cédé dès la première fois, a regardé mes applications, s'est amusée à découvrir mon affection pour des petits jeux ; elle a lu mes sms sans importances et d'autres qui en avait. Elle a vu mes photographies. Elle m'a vu avec lui. C'est lâche mais je n'avais pas la force de lui en parler, de leur en parler. La prendre sur le fait, l'engueuler de fouiner, c'était tellement plus simple ! Je l'ai disputé assez fort pour que Craig descende et là, j'ai été injuste. Agressive, mauvaise, je laissais sortir toute la frustration de ces dix-huit dernières années.  Ca me faisait un bien fou, d'hurler, de lâcher prise ! Je poussais Beatrix dans ses retranchements, encore et encore, jusqu'à ce qu'enfin elle craque. Enfin, elle avoue ce qu'elle a vu et me le balance en pleine face.

Tu trompes papa !

Le plus beau des reproches.


Elle s'attend sûrement à une scène mais notre fille nous regarde et je ne veux pas lui imposer ma tristesse. Je ne suis pas en rage, je suis profondément meurtrie et la violence que j'ai éprouvé quand Beatrix m'a annoncé que Eli' me trompait a anesthésié tous sentiments en moi. Je n'éprouve rien, je ne pense à rien, je suis sous le choc. Eli s'impatiente, Bea a les larmes aux yeux et reste la bouche entrouverte, son regard allant de sa mère à moi, pour s'arrêter sur moi et je ne peux rien dire. Que faire ? Comment agir ? Je ne sais pas, je ne veux pas savoir. J'aime notre vie, j'aime voir mon Elizabeth joyeuse, j'adore regarder ma fille s'épanouir et ce quotidien qui pourrait sembler fade à d'autres me comble de bonheur. J'aurais aimé ne pas savoir la vérité.

Craig ne dit rien, choqué et les deux autres s'impatientent. Elizabeth attend autant qu'elle espère l'humiliation de la vérité alors que Beatrix regrette, hait, aime, tout à la fois. Quand enfin le mari trahit prend la parole c'est pour Pardonner. Elle ne peut pas entendre ça, elle ne peut pas accepter qu'à la tromperie il fasse comme s'il n'y avait rien, alors Elizabeth enfonce le clou en disant que cela fait dix-huit ans qu'elle le trompe, il ne réagit pas, elle hurle qu'elle n'est même pas sûre que sa fille soit de lui et il encaisse. Craig refuse, encore et encore, que leur vie change à cause de ça ; il affirme et cela lui coupe le sifflet qu'il s'est remis à l'aimer quand elle a décidé de s'épanouir dans les bras d'un autre, qu'il ne veut pas que la vérité soit connue car cela serait dégradant pour eux. Il s'en moque, dit-il de sa voix posée grondante. Il s'en moque, qu'elle fasse ce qu'elle veut tant que cela ne sera jamais connu, tant qu'elle ne change pas. Elizabeth est sous le choc, Beatrix demande timidement si sa mère a mentit. Non chérie, je ne sais pas qui est ton père, Craig refuse de faire confirmer sa paternité. A quoi bon ? Il l'a élevé, elle est sa fille, pas besoin d'aller chercher des embrouilles là où tout roule.

Et tout revint comme avant, comme si tout ceci n'avait jamais eu lieu.

Beatrix est diplômée, elle étouffe dans son mensonge quotidien, s'interroge sur ses origines et chaque homme qui vint à la maison est source de suspicion. Elle envisage souvent de voler un échantillon d'ADN à son père pour faire faire des tests mais elle ne franchit jamais le pas. Sa famille tant aimée l’écœure, elle n'y trouve plus sa place ; elle n'a pas assez d'amis pour avoir envie de s'y accrocher et, sans même le remarquer, elle a commencé à s’isoler, à prendre ses distances. Ses parents ne dirent pas non quand elle partit faire ses études à Colombia.

Sa scolarité fut bonne bien qu'elle ne fut pas la plus brillante de sa promotion, loin de là. Le seul cour où elle s'en sortait à peu prêt était celui d'expression écrite. Une sorte de cercle littéraire mais noté qui lui changeait les idées. En l'écriture elle put décharger son passé, sa colère, sans que personne ne le devine. De petits écrits en petites nouvelles, elle eut pour devoir terminal d'écrire un petit roman. Page blanche. Elle ne sait par où commencer, quel sujet prendre ; ce sera sombre, sinistre, elle a toujours aimé les histoires d'horreurs alors autant prendre un milieu qui lui est familié, ce sera plus simple. Elle réfléchit, encore et encore, jusqu'à ce que finalement l'idée lui vint : et si elle écrivait sur sa promotion ? A être de toutes les fêtes, à être intégrée sans être sentimentalement attachée, Beatrix avait un regard sur les autres. Elle aimait les observer, elle adorait les cancans, autant s'en servir ! Elle changea les noms, arrangea la réalité mais c'est à partir de la vie de son entourage qu'elle produisit son roman. L'expérience fut délectable, à chaque fois qu'on se confiait à elle, elle y voyait une nouvelle intrigue ; aller sympathiser avec une arrière pensée rendait chaque rencontre plus palpitante. Tout était sublimé par le but final et quand ce fut terminé, elle en voulait encore. Beatrix écrivait avec frénésie, beaucoup de chose à jeter jusqu'à ce qu'il y ai « le livre ». Ce roman sur la vie du quartier qui fit le déclic, parmi tous les refus qu'elle avait reçu celui-la fut publié. Son succès ne fut pas aussi grand qu'elle aime le dire et avoir publié sous un pseudonyme ne l'aida pas à se servir de son image pour vendre mais elle se fit un peu d'argent dessus. Le suivant fut mieux vendu et ainsi de suite, jusqu'à pouvoir avoir quelques petites dédicaces par-ci par-là, osant enfin assumer ses écrits.

L'argent qu'elle gagnait lui brûlait les doigts, ce n'était que de l'argent de poche – elle n'allait certainement pas refuser à son généreux paternel de lui financer études puis vie quotidienne – mais quel argent de poche. C'était son argent, elle pouvait en faire ce qu'elle voulait, pas qu'elle fasse attention à ce qu'elle faisait de celui reçu par la famille, mais elle était incroyablement fière d'elle. Son intérêt pour les jeux de hasard fut renforcé, elle restait mine de rien assez raisonnable sur ce que sa famille lui envoyait (faudrait pas qu'ils lui coupent les vivres, on ne savait jamais), mais avec son fric elle s'en fichait ! Perdant toute raison, Beatrix se mis à jouer plus qu'elle ne l'aurait dû. Ses écris se firent de plus en plus espacés, elle ne le voyait pas car le temps passait si vite. Du hasard, elle se mis à parier aux courses, c'était encore meilleur ! Tout était bon pour la faire se sentir vivante, l'adrénaline la galvanisait, elle pariait sous tout, même sur des jeux stupides entre amis. Les « cap ou pas cap » de son enfance prenait une tournure énorme quand elle y mettait un billet dans la balance ; les dettes s'accumulèrent alors elle pris dans sa réserve. Son ardoise nettoyée, elle se remis à jouer et ainsi de suite jusqu'à ce qu'elle n'ait plus un sous.

Plus d'appartement. Un délai pour écrire son prochain roman. Plus d'inspiration. Toujours besoin de jouer, les dés lui brûlent les doigts.

A la rue, elle s'invita chez des amis à New York mais outre qu'elle ne pouvait pas s'éterniser, l'inspiration ne revenait pas et elle n'était pas assez idiote pour savoir que si elle ne publiait pas avant la fin du temps impartie, elle allait devoir rembourser l'avance de son éditrice… or elle ne pouvait pas la rembourser. Que faire ? Mâchouillant son crayon à papier, elle se mis sur son ordinateur pour commander un billet de bus direction Siloam Spring. Revoir sa famille ne l'enchantait pas, retourner dans cette ville la désolait mais elle n'avait nul part où aller. Elle tenait une idée, elle devait la suivre peu importe le prix : ces gens qu'elle avait connu, cette petite ville où tous peuvent se connaître, allait devenir le nouveau sujet de son prochain roman. Qui jouera le tueur ? Qui sera victime ? Son imagination s'enflammait, son carnet vert si longtemps resté vide se mis à se remplir de scénarii et elle si peu encline à retourner sur les traces de sa jeunesse, était maintenant impatience de rencontrer ceux qui allaient écrire les intrigues de son histoire.