Le noir. Toujours aussi total. Toujours aussi froid. Tu as beau ouvrir les yeux, laisser tes paupières cligner à répétitions, rien n’y fait. C’est toujours le néant, une obscurité froide qui te colle à la peau et te glace le sang. Tout ce qui te reste ce sont des souvenirs de formes et de couleurs, éléments rassurants que te procurait te vue avant l’accident. On ne se rend pas compte à quel point on a de la chance de voir là où nous mènent nos pas. Tu as raison, et tu le sais. On t’avait pourtant prévenu que tu ne pourrais te rendre compte de tes privilèges que lorsqu’ils te seront enlevés. La vie a fait d’une pierre deux coups en te rendant aveugle. Elle t’a fait perdre ta confiance et ta passion. Tes repères se sont envolés, ta mémoire commence à devenir trouble au point d’oublier ton propre visage.

Depuis l’accident, tu as peur de sortir. Tes parents t’encouragent, ils essaient de te pousser vers l’avent pour que tu mettes le nez dehors, mais rien n’y fait. Un mois que ça dure, un mois qu’ils cherchent chaque jour de nouvelles raisons pour que tu t’arraches de ton cocon. Il y a bien une chose qui t’a fait vaciller, une nouvelle qui te rassure quant à ta phobie ; les contusions ont disparues. Plus d’hématomes et de plaies en tout genre. Ne te reste que ta cécité. Seule marque de ta bêtise qui persiste. Il n'y en a qu'un qui ne te juge pas. Une peluche qui répond au nom d'Alpha. Ton garde du corps et guide que tu as eu bien du mal à accepter, évidemment. Si son museau tout doux t'avait fait craquer dès le début, ça aurait été comme accepter à bras ouvert ton handicap. Mais toi tu es du genre à tout rejeter.

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Aujourd’hui, ton labrador noir ne t’a pas laissé le choix de sortir. Il a sans aucun doute sentit ton envie de bouger, comme si il te connaissait depuis assez longtemps pour savoir que tu as horreur de rester inactive. Alors tu l’as laissé t’emmener à l’extérieur, prenant un peu plus d’assurance au fil des pas. C’est lui qui te promène, qui t’invite à surmonter de nouveaux obstacles. Seulement, la foule était la limite à ne pas franchir. Bousculée, ballottée de droite à gauche, tu commences à angoisser. Ta respiration t’accélère. Un coup d’épaule de trop te fait lâcher la laisse. Aussitôt désorientée, tu commences à reculer. Mais pour aller où ? De plus en plus paniquée, tu te recroquevilles sur toi-même, t’appuyant contre ce qui te semple être un mur. Ta respiration est trop rapide, tu n’arrives pas à raisonner. C’est maintenant que tu regrettes le confinement de ta maison.

Tu entends les griffes d’Alpha cliqueter sur le parquet de bois ancien. Il te laisse seule sur ton lit pour aller chercher un objet qu’il finit par venir déposer sur tes genoux. Curieuse, tu tâtes d’une main hésitante ce que tu finis par reconnaître être une laisse. Un soupire s’échappe de tes lèvres qui arborent un sourire amusé. Quel drôle d’ami. Un fidèle canidé qui semble désirer plus que tout au monde t’accompagner dans le monde extérieur pour que tu l’affrontes une bonne fois pour toute. Saisissant ce bref moment de courage qui te traverse, tu attaches ton guide et le laisse t’entraîner dans la maison jusqu’au dehors, te souvenant tant bien que mal ce que l’on t’a enseigné avant de te confier ce précieux partenaire.

Malgré ton manque d'entrainement, tu ne tardes pas à gagner en assurance au fil de tes pas. Du moins, tant que les difficultés restent peu nombreuses. Seulement le contrôle finit par vous échapper à tous les deux. Les passants se font de plus en plus nombreux, de plus en plus pressés. Tu n’aimes pas ça. Petit être fragile prisonnier de ce monde sauvage. La panique te prend, te sert le cœur. Ton seul souhait est de quitter cet endroit et retrouver le confinement de ta maison. Mais tu perds ton seul contact avec Alpha, le seul qui aurait pu te ramener en lieu sûr. C’en est trop pour toi. Tu te recroquevilles et te fait aussi petite que tu le peux. Chacun de tes membres tremblent, des larmes viennent border tes yeux clairs. Tes lunettes noires ont disparues de ton nez, elles ont sûrement chuté lors d’une bousculade. Personne ne comprend ce qui ce passe dans ta tête. T’en encore plus paumée que d’habitude, plus fragile.

Tu parviens à distinguer une voix parmi toutes les autres, des paroles douces qui te sont adressées. « Mademoiselle ? » te demande une femme en s’approchant de toi, assez pour que tu puisses sentir son parfum. Mais bien qu’elle se veuille rassurante, tu restes enfermée sur toi-même, recroquevillée dans une position peu confortable malgré son caractère rassurant. « Je vais prendre votre main et on va s'écarter de la foule si vous êtes d'accord, je suis l'agent Ash Kennedy. » te prévient-elle sans agir directement, toujours avec ce ton rassurant qui t’empêche de te liquéfier. En temps normal, tu l’aurais envoyé balader. Repousser les gens est bien là ton seul talent depuis l’accident. Seulement tu sais que tu ne pourras pas te sortir de cette situation toute seule. Alpha est hors de portée de main et cette femme semble être la seule personne disposée à t’offrir son aide sans te brusquer. Alors tu acquisses, réprimant tes sanglots de terreur. Sa main attrape la tienne et tu la serre, aussi fort que tu as peur de ce vide qui t’entoure et qui t’empêche d’être entièrement autonome. Il s’agit de ton seul rempart désormais, tu ne veux pas prendre le risque de perdre cet appui comme tu viens de le faire avec ton labrador.

Vous marchez en silence. Tu te laisses guider avec moins de certitude que lorsque ton fidèle compagnon s’occupait de toi. La parole ne te vient pas non plus. Du moins, pas spontanément. Il te faut de l’air, de l’espace et quelques minutes pour reprendre ton souffle avant d’haleter « Il … Il est où ? J’ai besoin de lui, je veux rentrer chez moi. » en laissant une larme couler sur ta joue.