« Et Aleksandra tu y as songé un instant ? » Les voix stridentes de mes parents se répercutaient dans tout l’appartement. Ma mère, les cheveux dressés sur la tête, le mascara noir qui s’étalait sur son visage baigné de larmes, s’époumonait sur mon père qui faisait la sourde oreille. Pour une fois il était sobre au moins. Et moi, là derrière la porte, les pieds nus sur le sol froid, du haut de mes sept ans, je sentais mon cœur saigner et se briser en mille petits morceaux de glaces pointus et aiguisés qui prenait un malin plaisir à me piquer au plus profond de mes sentiments de gamine. Je me sentais fiévreuse, pâle et faible. Un immonde haut le cœur s’empara de moi et ne pouvant plus me retenir je vomis tout mon repas sur le plancher, avant de voir mes parents accourir. Ma mère horrifiée et mon père, son visage sombre et sans aucune marque d’affection comme d’habitude. Une gifle claqua sur ma joue et je tombais par terre, n’ayant que mes mains pour me retenir. J’aurai voulu avoir un fils. Tels avaient été ses mots le jour de ma naissance. Ma mère était au contraire si câline et attentionnée, mais face à cet homme, la faiblesse la gagnait. « Il est temps de fairrre l’éducation de cette enfant. » L’accent russe et marqué de mon père résonna au fond de mon cerveau. Il me souleva et m’emmena hors de l’appartement. « Je l’emmène avec moi et tu n’as rrrien à y rrredirrre. » Ma mère posa une main sur sa bouche pour s’empêcher de crier. Mais une fois encore, malgré les larmes qui dévalaient ses joues, elle ne fit aucun geste pour venir me récupérer. Je me sentais abandonnée. A peine sept ans et déjà j’étais confrontée aux horreurs de la vie. Un père trop violent et l’impossibilité d’y faire face. Je quittais ce jour là Siloam Springs, ma ville natale pour rejoindre le désert de glace que représentait Moscou à mes yeux.

Je passais ensuite dix années de ma vie dans la capitale russe. Ce furent les années les plus mortelles de ma vie. Mon père, de retour dans son univers, était pire qu’exécrable. Il buvait plus que je ne pensais qu’un homme pourrait le faire et de ce fait il arrivait souvent que je me retrouve avec des coups sur le corps, les soirs où il n’était plus tout à fait normal. Malgré tout, je ne subit jamais de violence autres que ces coups et pour cela je lui en suis reconnaissante. Malgré tout, j’appris bien vite à détester cet homme qui ne me traitait pas comme sa fille mais plutôt comme une souillon de bas étage. J’étais là pour lui faire à manger, m’occuper de ranger la maison, car il lui arrivait de s’absenter longtemps. Je du rapidement trouver une activité pour gagner de l’argent et de ce fait j’abandonnais les études bien vite. D’autant plus que je parlais le russe comme une vache espagnole. Le lycée de là bas ne m’était donc d’aucune utilité. Je rentrais dans un groupe de danse classique et cette activité me plu rapidement, malgré mon côté garçon manqué. Je m’épanouie dans une activité et mon père n’y trouva rien à redire. C’est à l’âge de mes dix-huit ans, alors que j’étais sur le point de passer le concours d’entrée pour le Bolchoï que mon père me renvoya. Dégage me dit-il. Tu m’encombres et tu ne me sers à rien du tout. Tu seras plus utile à ta mère. J’en doutais quelque peu. Je me sentais sans famille, et pour cause ma mère ne me donnait que très peu de nouvelles. Elle avait certainement refait sa vie et ne voulait pas s’encombrer d’une fille comme moi, bonne à rien, et qui n’avait pas le moindre brin d’intelligence et de jugeote. Mais je ne pouvais pas rester en Russie, mon père m’aurait mise dehors si j’avais passée ne serait-ce qu’une heure de plus dans sa maison.

 « Aleks mon ange, peux-tu mettre la table pour nos invités ? » La voix doucereuse de ma mère me tapait sur les nerfs. Et sa façon de m’appeler Aleks. Je détestais ce prénom, car il me venait de mon russe de père. Je regardais la fin de ma série télévisée avant de me lever et de trainer des pieds jusqu’à la cuisine, encombrée de vaisselle et dans laquelle flottait une odeur de gâteau au chocolat. « Y’a qui ? » Ma mère haussa un sourcil. « Et bien mon ami tu sais, celui dont je t’ai parlé. Et il vient avec son fils qui doit avoir ton âge. » Je laissais tomber un verre qui se brisa en mille morceaux. Ma mère cessa la tâche qu’elle faisait pour me lancer un regard de plus en plus étonné. « Je t’en ai déjà parlé mon cœur, pourquoi fais-tu donc cette tête là ? » Je sentais une irrépressible envie de la gifler me prendre à la gorge. Non maman tu ne m’en as parlé. Toi et moi on ne se parle plus depuis que je suis rentrée. Je vis sous ton toit mais c’est comme si je n’existais pas. Et arrête de m'appeler par ces surnoms ridicules, ça ne marche pas du tout. Je me retins de lui dire. Elle n’avait plus conscience de moi et nous ne partagions plus rien. Elle jouait les mères gentilles et aimantes mais au fond je voyais bien que je n’étais plus réellement sa fille. Juste un fantôme qui errait dans son appartement et partait travailler tôt le matin pour rentrer tard le soir. Je ne vivais là que le temps de me faire assez d’économies pour ensuite m’en aller et vivre ma vie, enfin de mes propres ailes. Pour l’instant je n’étais que la petite chenille qui vivait encore dans le cocon. Mais j’étais invisible aux yeux de tous. Cela faisait un an que j’étais rentrée et maman faisait déjà sa vie avec quelqu’un d’autre. J’en aurai vomi tellement la vie était injuste avec moi. J’étais presque une orpheline.

 « Aleksandra tu peux prendre les cartons qui sont en bas ? » Je soupirais et me levais avant d’obtempérer. Après cinq ans passé l’un avec l’autre, ma mère s’était enfin casée pour de bon avec cet homme. Et aujourd’hui, miracle ils emménageaient ensemble. Et moi avec. Malheureusement le fils aussi. Et lui je ne le supportais pas. Mais alors pas du tout. On était comme chien et chat l’un avec l’autre, se balançant des piques à tour de bras, maquant de nous étrangler quand on se voyait. Et là nous allions devoir vivre sous le même toi. Enfin pas pour longtemps car j’étais décidée à déménager sous peu. Mes économies commençaient enfin à prendre une bonne tournure. Il était temps car j’étais certaine de ne pas pouvoir vivre en collocation permanente avec ce garçon et ce même pour faire plaisir à ma mère qui ne me voyait plus. Bref, il était temps que le vent tourne pour moi. Mon portable vibra dans ma poche et je le sortis pour voir qui donc m’envoyait un message dans ce moment si important de ma vie qu’était le déménagement.

On doit se revoir. Je suis à Siloam Springs pour quelques temps. Bises, Papa.

Mon cœur tambourina dans ma poitrine. Oh mon Dieu non, ce n’était pas le moment et je n’avais aucune envie de revoir mon bourreau.