It's life, not fuckin' heaven bitch !

Chapitre 1, Seven years ago.

« Mademoiselle, je peux avoir vos papiers s’il vous plait ? » Je le regarde avec mes grands yeux bleus. Je n’ai que vingt ans, et je sais que d’une part mes papiers ne sont pas en règle, et d’autre part, je ne suis pas majeure, et que donc, je n’ai rien à faire ici seule dans la rue. D’un simple regard, je fait comprendre à cet homme que je n’ai pas envie d’avoir de problèmes. Il ne faut pas être dupe pour comprendre qu’il est soit de la police, soit des services sociaux. « Vous parlez notre langue ? » Je hoche la tête et lui réponds avec mon fort accent « Oui, un peu. ». Je ne sais pas exactement ce qui se passe, mais son regard semble différent de tous les autres hommes que j’ai croisé jusque là. Et il en est passé un paquet. Entre ceux qui sont là pour m’emmerder et essayer de me ramener en foyer, ceux qui me regardent comme si j’étais une paria, ceux qui viennent m’acheter cette poudre blanche, ceux qui me donnent ces sachets à revendre, et ceux qui me paient pour passer la nuit avec eux. Mais lui, lui il est différent. Alors dans un anglais approximatif, et avec mon accent à couper au couteau, je lui réponds comme je peux. « S’il vous plait. Mon anniversaire est demain. Demain, je serai majeure. Je ne veux pas de problèmes. » « Vous allez venir avec moi. » Il attrape mon poignet et je le retire d’un coup sec. « Lâchez-moi ! » Mon regard s’assombrit. Qu’est-ce qu’il me veut celui là. « Je vous offre un café bien chaud et en échange, vous me laissez discuter un peu avec vous, deal ? » Mes pieds sont engourdis par le froid dans ces bottines. Mes mains sont quasiment mauves et l’idée même de boire un café chaud me donne l’eau à la bouche. Je hoche la tête, ne lâchant pas son regard perçant une seule seconde. Il me parait jeune pour être flic, non ? Je le suis donc jusqu’au café du coin. Il nous commande deux cafés et quelques pâtisseries que j’engloutis à une vitesse folle. « Tu vis ici depuis combien de temps ? » Je finis ma bouche et le regarde avant de répondre, mes mains bien entourées autour de cette tasse de café brûlant. « Vous voulez dire là à New York, ou là devant cette entrée d’immeuble ? » Il esquisse un sourire. Un sourire triste. « A New York. » « Depuis cinq ans environ. » « Et personne ne t’a proposé d’aller dans un foyer ? D’avoir une maison ? Un chez toi ? » « Je veux pas de tout ça. » « D’accord. Et… comment tu gagnes ta vie ? » Il m’en demande trop. Je lui lance un regard noir avant de porter ma tasse à mes lèvres. Je me brûle la langue, et j’adore ça. Je peux sentir le liquide réchauffer mes entrailles. Le bonheur. Je ferme les yeux pour savourer. « Je peux t’aider. » « J’ai pas besoin d’aide. » Je me lève d’un seul coup. « Tawny attends ! » Je le regarde. Pourquoi il m’appelle comme ça ?  « Tawny ? » « Je connais pas ton prénom, et tu me fais penser à un fauve. Tawny. ». J’esquisse un sourire et mon coeur semble se calmer légèrement. Il m’a rapidement cernée. « Tiens. » Il me donne une carte, avec une adresse et un numéro de téléphone. « Si tu as besoin, un jour, tu sauras où me trouver. ». Lehyan Saltburry. Lieutenant de police. Vous m’en direz tant.

Chapitre deux, two years ago.

Il est rare que je sois recroquevillée sur moi-même, les yeux dans le vague. Mes bras entourent mes genoux alors que mon corps se balance doucement dans une sorte de berceuse. Je pourrais aisément passer pour une folle. La semaine dernière, je me suis battue pour garder ma place, mais ils étaient trop forts, trop nombreux, et je suis affreusement seule. Alors, j’ai trouvé ce petit coin, juste en face du Starbuck. L’odeur du café me change un peu les idées, j’espère toujours qu’à un moment donné, quelqu’un viendra me donner gracieusement un bon café latté. Mais les New Yorkais sont bien trop nombrilistes. Il n’y a que quelques pauvres quarters de dollar dans mon chapeau, là par terre. Le regard fixé sur celui-ci, je sursaute en entendant une voix s’adresser à moi. « Mademoiselle ? » Je relève le regard et arrête net mon balancement. Ses cheveux châtains bouclés sentent bon le shampoing et le café qu’elle tient dans ses mains embaume déjà mes narines. Son regard me happe complètement, ses grands yeux noisette semble me couvrir d’attention, il y a bien longtemps que je n’ai pas ressenti une chose pareille. « Ça fait quelques jours que je vous vois ici. J’aimerai vous offrir un repas chaud, une douche, des vêtements, tout ce que vous voudrez qui pourra redonner un sourire à ce si joli visage. » Je ne bouge pas, je reste bouche bée. Elle a l’air tellement gentille, tellement douce, elle est tellement belle, et elle a l’air d’avoir tellement d’argent. C’est une période creuse, difficile, et je pourrai bien dérober quelques trucs en cachette dans son appartement. « Merci. » C’est tout ce qui sortira de ma bouche.

Mes doigts glissent sur la matière douce et chaleureuse du pull qu’elle vient de me donner à enfiler. Je crois que je pourrai bien m’en servir de doudou. « Il te va bien. » Je lui souris, c’est je crois le premier sourire que j’offre à quelqu’un depuis bien longtemps. Et le pire dans tout ça, c’est que je n’ai pas envie de lui voler quoi que ce soit. Je pourrai bien m’en vouloir. « Je te le ramènerai, c’est promis. » « Mais non ne dis pas n’importe quoi. Il est à toi. ». Je me sens chanceuse, pour la première fois de ma vie. « On a une chambre d’amis, si tu veux rester dormir là. Tu es ici chez toi. » Pourquoi me fait-elle autant confiance ? Je pourrai être malhonnête ! A vrai dire, je le suis, mais face à elle, j’en serai bien incapable. « Au fait, je m’appelle Lennon. » « Tawny. » « Tawny ? C’est joli, et ça te va très bien. » Je crois que si quelqu’un m’appelait aujourd’hui Anastasya, mon vrai prénom, je serai bien incapable de répondre.

Dormir pour dormir. Dans un lit, des draps qui sentent la lessive, et une couette lourde à souhait. Les seules fois où je me suis allongée dans un lit, ce n’était pas pour dormir, malheureusement. Et puis, en plein milieu de la nuit, mon réveil naturel. New York ne va pas tarder à s’éveiller, et Lennon en fera bientôt de même, ainsi que son fiancé. Alors à pas de loups, je quitte cet appartement chaleureux pour retrouver mon chez-moi, ma rue, mon petit bout de rue.


Chapitre trois, one year ago.

Quasiment six mois que nos chemins se sont croisés. Six mois que son regard a envoûté le mien, en une fraction de seconde. Ce soir, alors que le fiancé de Lennon est en déplacement pour le week end, nous passons une énième soirée ensemble. La jolie brune a réussi à amadouer la sauvage blonde, pourtant difficile à domestiquer. Et au fil des semaines, la blonde piquante a réussi à se rapprocher dangereusement de la douce brune. Mes mains glissent sur sa peau, mes lèvres embrassent les siennes, comme si ma vie en dépendait. Lennon aime les hommes, mais ce soir, elle est mienne. Mienne pour le restant de la nuit. C’est après un dernier soupir de plaisir que je la regarde s’endormir, là, nue sous les draps. « Je vais prendre une douche, je reviens, endors toi mon ange. » Un ange. Ses yeux se ferment, elle se laisse emporter dans les bras de Morphée. Je m’éclipse pour prendre une longue douche brûlante, me laissant guider par les doux sentiments qui m’inondent cette nuit. Ma douche s’étant un peu trop éternisée, l’eau devient glaciale et je sors à tout allure. La douche froide, le retour à la réalité. J’enfile mes affaires et, après un dernier regard sur ma partenaire de la nuit, je ferme la porte de l’appartement, comme à mon habitude. Sauf que cette fois, tout est différent. Il y a ce sentiment, là, au creux de mon estomac. Celui qui dit que ce n’est pas bien, qu’elle est fiancée. Je n’ai jamais eu peur de mal faire les choses, de ne rien faire dans les règles, mais là, tout est différent. Il faut que je disparaisse, que je change de quartier, qu’elle ne remette plus les pieds près de moi. Il faut que je me protège de ce qui est en train de se passer là, dans ma poitrine.

***

« Tawny, tu es là ! Ça fait des semaines que Lennon te cherche partout, elle devient folle de pas avoir de nouvelles de toi. Pourquoi t’es partie comme ça ? » Mon regard se plante dans celui du fiancé de Lennon. Cette femme qui me hante jour et nuit depuis plusieurs semaines. « Il faut que tu viennes avec moi, depuis que t’es partie elle voit rouge. Elle s’inquiète. Viens ! » « Non. Dis-lui juste que je vais bien.» « S’il te plait. ». Je soupire. Le souvenir de Lennon l’emporte sur tout. Les traits de son visage s’estompent quand je ferme les yeux. J’ai besoin de la revoir, même si c’est la dernière fois. Et puis tout va trop vite. Cette fois les souvenirs qui reviennent sont loin d’être agréables. Je revois mon beau père retirant sa ceinture, déboutonnant son pantalon d’une main alors que l’autre est plaquée sur ma bouche pour que je n’alerte personne. Je me débats, mais mon corps frêle ne fait pas le poids. La porte s’ouvre, surpris, le fiancé retire sa main et je peux hurler « Lâche-moi !! » avant de le pousser comme je peux, les larmes coulant abondamment sur mes joues. Je me sens souillée, de nouveau, comme lorsque j’avais quinze ans. Et puis le temps semble s’écouler plus vite encore quand un vase vient s’échouer sur le crâne de l’homme, le faisant tomber sur le coin de la table basse, puis sur le sol, son visage s’entourant rapidement d’une mare de sang. Je redresse le regard pour regarder Lennon, qui vient de me sauver la vie, mais aussi de mettre en danger la sienne. Mike est mort. Je suffoque, j’ai besoin d’air, et je quitte l’appartement en quête d’un courant d’air, une brise, une pluie légère, n’importe quoi. Lorsque je remonte dans l’appartement, Lennon a déjà disparu, et  c’était la dernière fois que je voyais son visage. Par terre. L’homme gît. Bien fait pour sa gueule.

Chapitre quatre, today.

J’ouvre les yeux et la blancheur de la pièce me donne affreusement mal au crâne. Mais où je suis putain ? « Salut. » Je connais cette voix. Je tourne la tête et mon regard devient de moins en moins trouble, je découvre Lehyan. « Qu’est-ce que tu fais ici ? Qu’est-ce que JE fais ici ? » Un hôpital. Merde. Qu'est-ce que j'ai foutu encore ? « Tawny. Tes papiers sont en règle. » Je le regarde et fronce les sourcils. « Provisoirement. » Il murmure « Je te couvre. » Mais de quoi il parle putain ? « Melle Yckowicz ? » Une infirmière entre dans la chambre. « Voilà vos analyses. Vous voulez que je vous envoie un médecin pour vous expliquer tout ça ? » « Ça ira. J’ai vu le médecin. Je vais en parler avec elle. » « Très bien monsieur. » Je le regarde, perplexe. « C’est quoi l’embrouille là ? » « Tawny, t’es venue me voir hier en me disant que tu te sentais pas bien depuis quelques jours. Et t’es tombée dans les pommes. Je t’ai amenée ici, en faisant le nécessaire pour tes papiers. » « Ouais, et alors, c’est quoi mes analyses ? Qu’est-ce que j’ai ? » « Tu as… tu as que tu es enceinte de vingt-cinq semaines. » Court-circuit de mon cerveau. Mon coeur rate un battement, puis un nouveau. Un rapide calcul dans ma tête. 5 mois et demi. « Un peu plus de 5 mois. Tu as fait un dénis de grossesse. » « Ok. Visiblement c’est une blague. Donc soit tu arrêtes tes conneries, soit on va directement à Coney Island faire un grand huit histoire de me débarrasser de tout ça. » « Tawny, on joue pas avec ces choses là. C’est pas des conneries. Tu vas t’installer chez moi le temps de trouver une solution. » 

***

Il n’a fallu que quelques semaines pour que mon ventre prenne une proportion énorme. Je désespère totalement, j’aimerai juste passer sous un bus à l’heure qu’il est, pour me débarrasser de cet extra-terrestre qui vit en moi. Et puis d’où il sort putain de merde ? « Melle Yckowicz ? » Je soupire et me lève avec un peu de difficulté pour entrer dans le bureau de cette femme qui semble plus antipathique que toutes les autres personnes qui vivent ici. « Alors dites-moi, vous vous plaisez au planning familial ? » Je lâche un rire cynique. « Ouais, comme si j’avais tué quelqu’un. Je suis sûre qu’une cellule de taule serait pas pire. » Je suis d’une humeur exécrable, il parait que les hormones y sont pour beaucoup. « Je vous ai fait venir parce que j’ai une bonne nouvelle. » Quoi ? On a changé les lois et je peux avorter à 7 mois de grossesse ? « Nous avons trouvé une famille qui voudrait votre bébé. Un couple de jeunes femmes qui habitent Siloam Springs, dans l’etat d’Arkansas. » Bah voyons, elle pouvait pas trouver un couple de gays californiens non plus ? « Ok. Vendu. » Il parait qu’on ne plaisante pas avec ces choses là. Mais je veux juste me débarrasser de cette chose au plus vite. « L’une des futures mères a payé un billet d’avion pour que vous puissiez les rencontrer. » Soyons fous, on est plus à ça près ! Direction le petit bled pommé de Siloam Springs, au revoir ma belle New York, et à bientôt.