Tu t’rappelles quand t’étais gamine, les livres de coloriages ? Moi j’les aimais pas. C’est vrai quoi, si j’ai envie de dessiner une maison, j’veux pas qu’un abruti décide à ma place à quoi elle doit ressembler !
Now
«
Mamma, comment tu vas ? » Les yeux fermés, t’essayes de pas penser à cette nouvelle journée qui commence. La voix faible mais heureuse de ta mère te répond. Et automatiquement, un sourire se forme sur tes lèvres. La relation avec ta mère n’a pas toujours été simple. Mais ça fait tellement de temps maintenant, t’as vingt-sept ans, t’arrives à faire la part des choses. Alors t’essayes de de t’assurer qu’elle va bien. Que Silvio ne lui fait pas trop vivre l’enfer. Silvio, c’est l’homme grâce auquel t’es au monde. Oui, c’est ton père. Biologiquement parlant. T’as arrêté de le considérer comme telle quand t’es entré dans la police. Voir même un peu avant, t’arrives pas vraiment à te souvenir. «
Mio Figlio, je vais bien et toi alors ? Cette fille ne te pose pas trop de problème ? Sinon, je viens et elle me sentira passer hein. » «
Et comment? Tu comptes la mettre à terre à coup de sac à main Mamma ? Non ça ira. Et puis en plus, elle est pas si terrible que ça en fait »
Mensonge. «
Et puis, tu sais pas où on est je te rappelle. » Elle fait un son comme si elle semblait comprendre. «
Et tout ça pour l’enlever des griffes de ton père, c’est ça ? » Tu lèves yeux au ciel sous tes paupières encore fermées, et tu souffles fort. «
Mamma, je t’ai déjà dit que je pouvais pas en parler. Et arrête de l'appeler comme ça, je t'ai déjà dit que je le considérais pas comme mon père. » Tu ouvres les yeux, et de nouveau, tu souffles.
Elle est désespérante. «
Mamma, je dois te laisser. » Tu raccroches sans avoir entendu la réponse de ta mère, et si tu l’avais pas fait, elle aurait probablement continué à parler pour s’assurer que tu prenais bien soin de toi. «
Va t’habiller Sharyn. » Tu regardes la blonde planter devant ton lit, une simple serviette autour du corps, encore mouillée de sa douche. Elle ne bouge pas, ne répond pas. Tu te lèves du canapé et prends tes clefs, et celles de Sharyn. Tu lui lances un «
J’vais chercher à bouffer. » Et avant qu’elle ne se mette à se plaindre lorsqu’elle se rend compte que t’as pris toutes les clefs et qu’elle a aucune façon de sortir de l’appartement, même pas les fenêtres, tu sors de l’appartement et l’enferme à clé à l’intérieur. Un peu d’air frais te fera le plus grand bien. Tu t’appuies quelques secondes contre la porte avant de te remettre droit. T’as ta plaque de police sur toi au cas où. Tu te souviens la première fois, la toute première fois que tu l’as rencontré cette fille. Et franchement, t’aurais jamais imaginé que c’était une telle peste à l’époque. Pas que tu sois un ange. Mais elle est pire que toi. Et de loin.
Then
«
Andrea, je dois parler avec cet homme, me ferais-tu le plaisir de garder un œil sur cette jolie jeune fille là-bas ? » Tu te retournes pour voir la jeune fille dont il parle. Elle a franchement pas si jolie que ça. Tu lèves les yeux au ciel et t’approches d’elle. «
Salut, j’m’appelle Andrea et toi ? » Elle te regarde fixement. «
Sharyn. » «
Je suis content pour toi. Bon tu sais quoi ? On va s’assoir là et on va pas bouger ok ? » Elle te sourit et hoche la tête. T’es horrible avec elle, pourquoi elle sourit ? Tu vois vos deux pères parler entre eux, et tu sais pas de quoi ils parlent, mais ça a l’air plus intéressant que de rester ici assis à côté d’une fille qui ne parle pas et qui reste comme une petite fille sage. «
Bon, t’es lourde, je vais chercher un truc et toi, tu restes là. » Elle est petite, elle doit avoir à peine cinq ans. Tu lèves les yeux au ciel et tu vas chercher un verre de coca cola. Tu reviens en lui ramenant un verre de jus de fruit. «
Je savais pas ce que tu voulais, je t’ai pris du jus. » Elle te sourit et te lance un petit faible «
merci. » T’es un connard, mais t’es pas le genre à laisser une gamine crever de soif à un gala où elle doit s’emmerder presque autant que toi. La soirée passe lentement, trop lentement. Et lorsqu’enfin elle se termine, tu fais un rapide geste de la tête à cette gamine. T’espères franchement que tu la reverras jamais.
Now
Ton téléphone sonne dans ta poche, t’es encore appuyé à la porte de votre appartement. Tu souris en voyant que c’est ton meilleur ami qui t’appelle. «
Allo Sasha ? » Il rigole, et vous commencez à parler pendant que tu vas vers ta voiture. «
Comment va Dina ? » C’est des questions futiles. Ça commence à faire longtemps que t’as pas eu une vraie conversation intéressante avec ton meilleur pote. «
Alors, ton métier ? » T’arrêtes directement de sourire. Et il sait que ce sujet est tabou pour toi. Pourquoi il continue à t’en parler ? De base toi, t’es entré dans la police pour dénoncer les flics ripous. Genre ? Genre le type dont tu tiens la moitié des cellules. Silvio. Il était flic ripou. Tu l’as découvert parce que tu l’as entendu parler avec le père de Sharyn un jour. Et tu comprenais pas trop à l’époque, t’avais que douze ans. Mais ce qui est sûr, c’est que ça parlait de cacher des trucs, et de faire des choses qu’il n’aurait pas dû faire. Après, tu t’es rendu compte qu’en fait, ils couvraient le fait que ton père volait de la drogue des pièces à convictions pour le revendre à des dealers. Après, t’as découvert que c’était la plus petite de ses infractions. T’as été flic. Et t’aimais ça. Un jour, ça a dérapé. «
Je te laisse Sasha, je vais prendre le volant. » Tu te rappelles de cette histoire, t’en fait des cauchemars tous les jours. Puis tu finis par sourire, parce qu’au final, ça te rappelle à quel point ta mère est diabolique quand elle le veut.
Then
«
Espèce de conasse ! Où ils sont ? » La femme te regarde avec un sourire qui te plait pas. Il te plait vraiment pas. Tu tapes sur la table et sort de la salle. Là, ton collègue te regarde et te tiens les épaules. «
Calme-toi mec. Ça va ? » T’as besoin de taper sur quelque chose. «
Cette femme a enlevé des enfants Thibaut. Elle les a enlevés, et elle les a tués. J’arrive pas à garder mon sang froid. Je monte à la salle de sport. » Là, tu tapes. Tu tapes le plus que tu peux. Essayant de déverser toute la haine que tu ressens pour cette femme. Tu finis par arrêter et par pleurer. C’est trop pour toi. C’est que ta troisième année de service. Et t’as vécu trop de merde pendant ces cinq dernières années pour que tu ne sois pas touchée par cette histoire. La mort de ton enfant à sa naissance par exemple. La décision de sa mère de te laisser. T’as vingt-cinq ans, et tu te sens comme un ado qu’à trop de trucs sur les épaules pour réussir à s’en sortir. Tu sens la présence de Thibaut derrière toi. «
Andrea ? » Tu te retournes vers lui, essuyant la sueur de ton front. «
On a trouvé de nouveaux éléments, et ça va pas te plaire. » Tu souffles. Parce que les corps des trois enfants suffisaient pas ? «
On est encore sûr de rien. Mais euh…tu… » Son portable vibre. Et il le regarde. «
Ok, donc en fait on est surs. On a retrouvé les enfants. » Tes yeux s’écarquillent, et tes jambes cèdent. «
Mais c’est une super nouvelle… Thibaut, c’est… » «
Ton fils en fait partie. » Tu fronces les sourcils et relève la tête vers ton partenaire. «
J’ai pas d’enfants Thib. Le seul que j’ai eu il est mort-né. » Ça fait cinq ans, et ça fait toujours mal d’en parler. «
Les test ADN disent le contraire Andrea. » Tu te relèves rapidement et sans répondre à Thibaut lorsqu’il te demande de ralentir, tu fonces vers le téléphone de ton poste. Rapidement, tu composes un numéro que tu commences à connaître par cœur. «
Emilie ? » «
Andrea ? Pourquoi tu m’appelles ? » «
On a retrouvé Stéphane. » «
Oh dieu merci je croyais qu'il ét… Oh… » «
OH ? OH ? » Tu raccroches rapidement. Elle n’a même pas pris la peine de changer son prénom. «
Comment c’est possible. Pourquoi j’étais pas au courant ? » Thibaut arrive derrière toi et te tapotes les dos. Puis tes lèvres deviennent une fine ligne. Cette femme. Cette femme s’en est pris à ton fils. Le tien. Tu te lèves et Thibaut essaye de te retenir, connaissant probablement ton comportement coléreux et ton intention. C’est après avoir cassé le nez à l’accusé que t’es révoqué. On te retire ton arme. On te laisse ton badge, parce que tu fais encore partie de la police. Mais toutes les affaires trop pointues, tu ne peux pas y participer. Alors tu retournes chez ta mère, et tu lui dis qu’elle a un petit-fils. Et t’apprends qu’elle le sait. Qu’elle a payé Emilie pour qu’elle parte avec Stéphane de ta vie. Qu’elle l’a payé pour qu’ils sortent tous les deux de ta vie parce que tu étais « trop jeune. » Tu pars de chez ta mère, et tu retournes chez toi où tu deviens une loque. Pour un an.
Now
Arrivé à la boulangerie, tu te prends un croissant, et t’hésites avant de finalement commander un truc pour Sharyn aussi. C’est une plaie, mais elle mérite pas de crever de faim. Ton téléphone sonne et t’es prêt à envoyer bouler Sasha ou ta mère, mais ton sourire s’étend réellement lorsque tu vois le prénom Malvina s’inscrire sur ton portable. Tu décroches rapidement «
Salut toi. » T’entends un rire fin à l’autre bout du fil et il te fait sourire encore plus si c’est possible. «
Tu vas bien Diego ? » Ça te prend une minute pour te souvenir que tu ne lui as pas dit ton vrai prénom et que pour elle, t’es cuisinier. «
Ouais et toi ? Les enfants sont pas trop insupportables ? » Elle répond pas de suite et finalement te rassure. «
Non non, les enfants vont bien. » Elle est éducatrice pour enfants. C’est mignon comme métier. Ça te plait bien. Souvent quand t’en as marre de Sharyn, tu sors et t’appelles Malvina. Tu te pleins pas de Sharyn, mais vous parlez, et de plus en plus, t’apprends à aimer cette femme. Tu l’as jamais vu, tu sais pas à quoi elle ressemble, enfin si, mais t’as jamais vu son visage. «
Malvina, je suis désolée, mais je dois y aller. J’ai des…commandes qui m’attendent. » Elle rigole doucement et après les au revoir, tu raccroches. Tu remercieras jamais assez Sasha de t'avoir passé le numéro de cette fille. Ça va être dur de supporter Sharyn après ça.
Then
«
Âllo Thibaut ? » I t’a pas appelé depuis un an et demi. Et voilà qu’il recommence à t’appeler, comme ça. «
Ouais Andrea, le chef a un truc à te proposer. » Tu lèves les yeux de ta boîte de pizza froide datant d’hier et tu cris presque «
j’arrive » dans le combiné avant de mettre ton blouson et de te dépêcher d’aller au commissariat. Quand t’arrives, le chef t’attends un sourire aux lèvres et une blonde assise au fond de la salle. «
C’est euh… Sharyn truc machin là non ? Je l’ai vu aux infos. Son père a été tué. » Par le tien. Mais bon ça évidemment, tu le dis pas. «
Oui, c’est ça. Tu dois la protéger. » Tu lèves les sourcils, ayant peur de ne pas comprendre. «
Elle devra témoigner, elle était là pendant le meurtre. Donc on a besoin d’elle saine et sauve. Et puis elle a fait renvoyer tous les autres, donc on a pensé à toi. » Tu regardes la blonde qui te regardes de haut. «
Mais chef… » «
Tu fais ça Andrea, tu reviens parmi nous. Pour les vraies missions. » Tu déglutis difficilement. Tu finis par hocher la tête. «
Vous allez être envoyé dans une petite ville, à l’abri des regards indiscrets, en Amérique. Tu la protèges coute que voute Andrea. » Tu hoches la tête de nouveau. Elle doit pas être si horrible que ça si ?
Now
Elle l'est.