cette cigarette d'après la guerre et son odeur vanillée.

arrêtes de faire la sourde oreille gale ! tu sais très bien que nous n'avons plus un sou ! je sens la voiture qui s'accélère et je serre mon doudou un peu plus fort. papa hurle et maman essaie de lui faire entendre raison. gale arrêtes ! mon père tourne le volant brusquement, pour éviter la voiture sur l'autre voie. bordel marlen, tu vas la boucler ?! les pneus crissent sur la route verglacée. maman j'ai peur ... et boum. c’est le noir total. je me suis réveillé à l'hôpital, une semaine plus tard. près de moi, il y avait ma grand mère. je ne me rappelle plus de ce qu'elle m'a dit, pour que je comprennes que mes parents n'étaient plus de ce monde, ni même qu'elle avait été ma réaction.

mon titi, qu'est-ce tu fais ? encore en train de chercher ce fameux monstre sous ton lit ? elle rit à gorge déployée ma grand-mère. nana, c’est le surnom que je lui donne. nana c'est pas drôle, il va me manger ! elle le sait, nana, que j'ai peur du noir, mais ça la fait rire. elle m'attrape dans ses bras et me câline, doucement. j'me suis souvent demandé si elle câlinait maman comme ça, quand elle avait peur. ne t'en fais pas, je lui botte le cul s'il vient ton monstre. dors maintenant mon titi. elle me dépose dans mon grand lit qui grince, et me borde. elle cale mon doudou contre mon cou et reste assise quelques minutes, à me regarder. elle a un air triste, un air de vieille femme fatiguée. mais moi, nana, je la trouve belle. plus belle que n'importe quelle femme au monde. nana elle sait pas bien lire ni trop écrire, alors c’est moi qui lit son courrier et qui l'aide a y répondre. nana elle est pas très belle pour les autres, elle est habillée avec une robe pleine de fleurs et un tablier pour me faire à manger. nana elle veut pas de machine à laver, alors elle lave son linge dans la fontaine qu'elle a dans le jardin. nana elle cuisine bien, elle me fait rire. nana elle m'a jamais frappé, elle m'a jamais grondé. non, il suffit qu'elle m'ignore pour que je me rende compte que nana est fâchée et quand elle est fâchée, je me fais tout petit, comme si elle m'avait grondé. nana elle dit souvent qu'elle est fière de moi.

mais je comprends pas trop pourquoi : j'ai pas beaucoup de copains, et mes notes elles sont pas très bonnes. je suis pas vraiment doué avec les autres, j'ai même pas su garder mes parents, alors des amis ... mais nana elle me dit que ça viendra. qu'en grandissant ça changerait. et qu'on a pas besoin de beaucoup d'amis, tant qu'on est heureux. et heureux, je le suis. c'est vrai quoi, à noël j'ai eu mon camion de pompier, le rouge éclatant. c’est vrai, j'étais jaloux de voir les autres à l'école avec des game boy. mais ma nana, elle avait mis toutes ses économies dans mon camion rouge, alors j'étais content.

et puis j'ai grandis. à treize ans, j'ai lancé un élevage de mantes religieuses, dans mon cabanon, dédié au bricolage. nana n'y met jamais les pieds, alors comme ça, je suis sûre qu'elle ne me crie pas dessus. nana ne veut pas d'animaux, elle dit qu'elle est allergique aux poils. mon oeil, un poisson rouge, ça n'a pas de poils. alors je me suis fais mon propre élevage. les insecte m'ont toujours fascinés : fourmis, gendarmes, papillons, criquets, guêpes ... a tel point que je me suis mis en tête de faire biologiste. à quinze ans, j'ai pris un petit job, pour me faire un peu d'argent de poche et aider nana à payer les factures, celui de livreur de journaux. j'ai pris la vieille bicyclette de monsieur hämmer et j'ai pédalé, à travers siloam, jetant les journaux sur la devanture des maisons. un sourire, un journal et tout le monde était content. puis j'ai commencé à toucher un peu à la mécanique, et j'ai réparé quelques voitures. celles de mes amis, puis au fur et à mesure, de parfaits inconnus venaient et m'amenaient leurs voitures. je fais ça gratuitement bien entendu.

j'ai eu mon bac. mention bien. mais les études de biologiste étaient toujours trop chères pour nanas, alors j'ai abandonné. et depuis, je suis livreur de journaux. bien sûr, j'en connais un rayon sur les insectes et j'essaie de le faire savoir. il y a cinq ans, j'ai connu l'existence d'une assoc' qui aide les enfants défavorisés. depuis, tous mes weekends leurs sont consacrés. le mercredi et le jeudi, je vais voir les gens malades à l'hôpital et j'essaie de leur apporter un peu de ma joie de vivre. mais à force de m'occuper des autres, j'en ai oublié nana. nana, elle a fait un avc. j'étais à l'hôpital, je m'apprêtais à partir, et là, je l'ai vu, sur un brancard. nana ?! mes yeux s'écarquillent et je cours après le brancard. nana ! qu'est-ce qu'elle a ?! dites moi ce qu'elle a ! c’est une infirmière qui est venue me calmer. je ne me souviens plus de ce qu'elle m'a dit. j'ai cru perdre nana pour toujours. quand elle est revenue, je l'ai serré dans mes bras. fort, très fort, comme pour lui dire de ne pas me faire ce coup là. et nana elle m'a sourit. elle a caressé ma joue et elle m'a dit : je t'aime mon titi, alors pleure-pas, j'suis là.

aujourd'hui nana va mieux. je continue a livré des journaux. je vois toujours les enfants de l'assoc', j'y vais tous les samedis. le mercredi est toujours réservé aux malades de l'hôpital. et le dimanche, c’est juste moi et nana, au bord du lac, avec les canards.