I've got 99 problems

THE ANGEL ON THE ROOF

« Tu en as pour longtemps ? » Sous l'effet de la surprise j'ai faillit glisser. Et tomber. J'aurais eu les boules. Une semaine à tout prévoir. Le costard. La clope. L'immeuble. La ville. Le panorama. Le jour. L'heure. J'avais tout pensé, réfléchi, pesé. La façon de sauter. Bras écartés, bras le long du corps ? Mes dernières pensées. Tout. Et elle avait presque tout fait foirer. Elle, sa gueule d'ange, son sourcil levé et son air impatient. Elle, ses yeux trop maquillés, ses cheveux décoiffés, ses traces de larmes grises qui dégueulassaient ses joues. Parce que quitte à se suicider, autant marquer les esprits. On parlerait du fils O'Hara qui s'est jeté dans le vide après avoir fumé sa dernière cigarette et avoir embrassé Londres du regard. On parlerait pas du gosse de riche qui s'est éclaté le crâne sur le bitume parce qu'il s'est vautré en haut d'un immeuble minable. Ma clope était tombée. Je me suis tourné, a moitié accroupi sur le muret, pour lui faire face, tournant le dos au vide, aux bras qui m'appelaient depuis au j'avais fêté mon quinzième anniversaire. La neige avait mouillé ses cheveux blonds et des mêches lui collaient les joues. « Oui » C'est sorti sec. Amère. Je voulais qu'elle se tire. Dans un autre contexte, un autre jour, j'aurais voulu qu'elle se déshabille, j'aurai voulu voir ce qui se cachait sous cette jupe trop courte et ce haut trop opaque. Je voulais voir. Mais je voulais surtout mourir. Elle n'a pas bougé. « Est-ce que tu pourrais accélérer un peu ? J'aimerais bien avoir la place. » Je suis resté con. Première fois en dix-huit ans d'existence. Toute ma vie j'avais attendu qu'on me surprenne. Et ça arrivait pile le jour où j'avais décidé de me foutre en l'air. Y a des gens qui font la queue pour acheter des chips, d'autres qui font la queue pour se suicider. Chacun sa vie. « Heu ... Ok » C'est tout ce qui est sorti. Elle a haussé l'autre sourcil mais elle n'a rien ajouté. Alors je me suis tourné, les yeux d'abord plongés dans le vide, puis dans le ciel. Un moment poétique. Sauf que j'arrivais pas à me rappeler ce à quoi je voulais penser avant de sauter. J'arrivais pas à me concentrer. Je voyais plus l'horizon. Je voyais plus Londres. Je la voyais elle. Je sentais son regard dans mon dos. Et je l'ai haït. Elle venait de bousiller le plus beau jour de ma vie. « Putain de merde ... » Je me suis retourné, encore. Et puis tout s'est passé vite. Elle s'est précipitée vers le muret, les yeux rouges, en hurlant et je sais pas pourquoi, je saurais jamais pourquoi, je me suis jeté sur elle. Je l'ai empêché de sauter. Par vengeance peut être. Parce qu'elle m'avait interrompu, parce que j'allais devoir tout replanifier, repenser, remettre en scène. Ou parce qu'en apparaissant sur ce toit, elle venait de me donner une raison de vivre. « LÂCHE MOI ! Lâche moi espèce de connard ! » Je me suis pris un poing, un pied, des ongles, des dents et puis un genou dans les couilles. Mais j'ai pas lâché. Le silence est tombé. Et on est resté là, l'un sur l'autre sous la neige. Elle pleurait. Je tremblais.

Elle faisait la gueule. Moi aussi. Elle assise, le dos contre la porte qui des escaliers qui donnait sur le toit, moi assis le dos contre le muret qui aurait du être le témoin de mon envol. J'étais trempé. J'avais froid. Mais j'avais décidé de lui sauver la vie. Juste pour l'emmerder. Qu'est ce qu'on dit à quelqu'un qu'on rencontre par hasard sur le toit d'un immeuble alors qu'on s'apprêtait à se suicider ? Le même toit. Le même immeuble. Le même jour. La même heure. La seule différence c'était que l'un était prémédité, alors que l'autre semblait spontané. Et elle a posé la question. Au moment même où je me la posais à moi même. « Pourquoi ? » Et là, j'ai pas su quoi dire. Parce que j'avais jamais su pourquoi j'avais toujours envie de me foutre en l'air. C'était arrivé comme ça, un matin, je m'étais réveillé, le paternel en voyage d'affaires chez la voisine du dessus, la maternelle en réunion chez le voisin du dessous, seul. Entouré d'or et d'argent. C'était mon anniversaire. Et depuis, j'avais été n'importe qui, fait n'importe quoi mais c'était jamais partit. Qui que je sois, quoi que je fasse, je me retrouvais seul avec moi même. Et cette envie. Le genre d'envie qui te ronge, qui te prend la tête, qui occupe chaque minute de ta vie. J'ai haussé les épaules. « Je sais pas » J'ai pas osé la regarder. Elle avait surement une raison, et j'avais surement l'air d'un gros con. « Cancer. » J'ai tourné la tête trop vite. Mon cou a craqué. J'ai vu des étoiles. « Cancer ? » Elle a sourit. « La prochaine fois qu'on te demande. Un cancer ça passe mieux qu'un 'je sais pas'. » Objectivement, si j'avais été spectateur de cette conversation, j'aurai appelé les flics. Subjectivement, j'aurai voulu rester là toute la nuit. J'ai souri. « Et toi ? » Son sourire s'est élargi, j'aurai pas su dire si c'était faux ou vrai. « Cancer. » J'ai ri, secoué la tête et deux minutes plus tard elle s'asseyait à côté de moi en me tendant une main fine et tremblante. « Mavis » J'ai attrapé sa main et j'ai été électrocuté. « Fox ». Et ça a commencé là.



Un pacte. C'est le genre de truc que tu fais avec tes potes, au collège. On se coupe le doigt, on fait un pacte du sang et on se dit qu'on restera potes jusqu'à la fin des temps. Et après tu entres au lycée. Tu te tapes la copine du dit pote. Et le pacte est rompu. Avec Mavis, c'était différent. Je la connaissais pas. Elle me connaissait pas. Je ne savais rien d'elle. Et elle ne savait rien de moi. On venait peut être de deux mondes différents, elle était peut être pauvre, ou riche. J'étais peut être riche, ou pauvre. Et c'était là la différence. Elle avait levé son petit doigt, assise sur la chaise du vieux café où on s'était réfugié quand le bout de son nez avait commencé à devenir noir et que mes pieds m'avaient hurlé de continuer sans eux, et j'avais tendu le mien. Elle m'avait dit : un an. On se donne un an. Un an qu'on passera ensemble. Un an de quartier libre. Un an sans limites. Et dans un an, on se retrouverait sur ce même toit. Quoiqu'il arrive. Et on sauterait. Ou on sauterait pas. Un pacte. Un pacte différent des autres. Un pacte qui m'avait donné envie de vivre. J'ai accepté. Et j'ai passé un an avec elle. Je la voyais une fois par semaine au début, et puis trois, et puis quatre. Jusqu'à ce qu'elle devienne indispensable. Mavis, c'était la pièce, le billet, le diamant, le seul diamant que je pouvais pas avoir, ni acheter. Une sociopathe. Folle à lier. Une suicidaire. Névrosée. Psychosée. Elle a toujours refusé que je sache quoique ce soit sur elle et j'ai toujours refusé qu'elle sache quoique ce soit sur moi. Pas de nom de famille. Pas de d'adresse. Pas de téléphone. Juste des heures et des lieux où se retrouver. J'étais Fox et c'était Mavis. Je la détestais. On avait rien en commun. Mais elle me fascinait. Elle était à la fois, la fille que j'avais envie de cogner, la seule avec qui j'avais envie de parler, la seule que je ne voulais pas voir nue, ma meilleure amie, ma pire ennemie. La fille dont je tombais amoureux.

Et puis l'année a fini. Et elle n'est pas venue. Je l'ai cherché. Longtemps. Dans les bars, les pubs, les boîtes de nuit. J'ai cherché un fantôme dont je n'avais que le prénom. Mavis. Elle m'a hanté, un mois, deux mois, trois mois, un an. Mais je ne l'ai jamais revu. Elle avait disparue aussi soudainement qu'elle était apparue. L'ange sur le toit. Et comme elle était partie, mes démons étaient revenus. Mais je ne pouvais pas. Je ne pouvais pas avancer, reculer, sauter sans elle. Pas avant de la revoir. Pas avant de comprendre. J'étais coincé. Drogué.