Je ne pourrais pas commencer par « il était une fois » : il faudrait finir par « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». Et je ne suis, ni heureuse, ni maman. A vrai dire, je ne suis pas grand-chose. A bien y penser, j’ai longtemps cherché un sens à ma vie, sans rien trouver d’autres que des vérités affreuses. Maman schizophrène, papa alcoolique, et petite sœur assassinée : la vie rêvée n’est-ce pas ? Je plaisante. J’ai toujours tendance à tourner ma vie en ridicule. Toute petite déjà, je riais de tout et de rien. Je souriais pour tout et pour rien. Je pleurais, aussi, à tout va. Parce que je savais pertinemment qu’en rentrant, papa allait crier, maman allait s’enfermer dans la chambre, et le sang finirait par couler : soit car elle voulait mourir, soit parce que papa en avait marre.

Je me suis toujours demandé comment ils ont pu passer d’amants fous à fous tout court. C’était Bagdad dans le salon, déjà avant que Crystal arrive. Mais alors quand, elle est née, c’était la guerre : papa ne supportait pas les cris, il ne voulait même pas s’en occuper. Un soir, quand je suis rentrée de l’école, c’était calme. Trop calme. J’avais 14 ans, et ils étaient tous morts : maman avait tranché la gorge de papa, et elle avait noyé la petite. Elle était là, devant l’évier, et elle parlait, comme si de rien était. Je me souviens de ce silence morbide : j’ai emmené maman dans la chambre, et du haut de mes 14 pommes, j’ai appelé la police. « Allô ? Maman a tué tout le monde. »

Depuis, elle est en asile psychiatrique : d’abord en France, j’ai demandé à ce qu’elle soit transférée dans une ville, proche de la mienne. Je vais la voir, de temps en temps, je lui souris, et je lui dis que tout ira bien. Mais je n’en crois rien : ce soir-là, j’ai tout perdu. Ma sœur, mon père, ma mère, ma famille et même ma vie. Alors je mens, mais je vie : c’est comme ça que je leur rends hommage. J’ai vécu les 4 ans avant ma majorité chez ma grand-mère maternelle, qui ne s’en est jamais remise de cette tuerie. « Ce n’est rien mamie. Maman va se soigner, elle ira mieux après. » Je sais aujourd'hui que ce n'est plus possible.

Plus je grandissais, plus ma beauté m’envahissait : à vrai dire, elle a pris tellement de place, que j’ai choisi la facilité. Un casting, et deux ans plus tard me voilà mannequin pour les plus grands : régime, vêtements, la tête haute. Sans cesse la même rengaine : une rengaine qui m’épuise. C’est pour ça, que je m’exile souvent, dans ce parc, et je regarde ces enfants que je n’aurais jamais. Je n’ai jamais eu de relation : peut-être me rendais-je trop inaccessible. Mais ça me manquait. Et je me sentais seule. Un jour, alors que je buvais un café sur la terrasse d'un bar, une petite fille est venue vers moi : c'est tout naturellement qu'elle m'a tendu les bras. Je n'ai pu, avec étonnement, que la prendre dans mes bras. Elle a commencé à jouer avec mes cheveux, délicatement, me fixant de ses gros yeux bleus : elle était magnifique. Un vrai petit ange cette Heaven.

Et alors, il est arrivé. Quand j'ai redressé la tête, j'ai tout de suite été attirer par son regard : j’ai vu en lui quelqu’un d’incroyable : renfermé, mais incroyable. Courte discussion, trois mots, mais un prénom : Shawn. Et je me suis promis de vite y retourner, pour vite le revoir. Mais un problème en psychiatrie m’en empêcha : maman et ses crises, toujours et encore. Je n’ai pu les revoir que des semaines plus tard : mais ils me paraissaient encore plus beau que la dernière fois. Une légère discussion, puis une après-midi entière suffisait pour que je tombe amoureuse de lui. Raide dingue amoureuse de lui. Mais il n’était pas prêt, je le sentais, à entendre parler d’amour. Et pour cause, je ne le savais pas encore.

Aucune invitation chez lui : il se contentait de laisser sa petite fille à une baby-sitter, et il partait voir les prostituées du coin. Au début, cela m’a vexé : n’étais-je pas assez bien ? Mais finalement, qu’importe ? J’ai continué de venir chez lui, en amie, malgré le fait de l’aimer : car oui, plus le temps passait, et plus ça devenait difficile de le cacher. Heaven était devenue plus qu’une petite fille à mes yeux : elle était un trésor. Et Shawn… Shawn : pour la première fois de ma vie, je voulais partager mon quotidien avec quelqu’un. Mais ça ne pourrait marcher tant que je ne saurais pas pourquoi il se braque autant.