« Adieu, Washington. »

Après un dernier regard vers la ville où je suis née, où j’ai grandi, je tourne les yeux. L’avion décolle. Mes affaires sont en route, par camion de déménagement. Je vais démarrer une nouvelle vie, loin de l’ancienne. Loin des souvenirs qui me hantent. Je ne veux plus penser à ce que j’ai vécu ici. A ce mariage désastreux. A cette catastrophe qui m’a faite réagir. J’ai vingt-deux ans. Je serais bientôt divorcée. Et ce sera tant mieux.

Mes mains tripotent un cadre, dans mon sac. Je l’en sors, comme à regret, et j’observe la photo. Comme j’ai l’air heureuse dessus. Mon père aussi, est aux anges. On ne distingue pas la troisième personne. J’ai déchiré la photo, quelques jours auparavant. Il y avait mon mari dessus. J’ai tiré une croix sur lui. C’était ce qu’il y avait de mieux à faire.

Est-ce que je l’ai aimé ? Je ne sais pas. Peut-être. J’étais jeune et naïve quand on s’est rencontrés. J’avais dix-huit ans. Je croyais au prince charmant et au grand amour. Tristes illusions. J’essaie de m’y raccrocher encore, mais c’est dur. Il m’a ouvert les yeux, en quelque sorte. Non pas que je vais l’en remercier, mais j’ai appris à mes dépens que ce monde est moins sûr qu’il n’y paraissait dans mes rêves de petite fille.

Je ne désespère pas cependant. J’ai assez d’argent sur mon compte pour refaire ma vie. Mon père est triste de me voir quitter Washington. Mais je lui ai promis de venir le visiter souvent. Alors il m’a laissée aller. Il m’a même acheté une maison, en Arkansas. J’ai vu les photos. Elle est magnifique. Le coin n’est pas aussi animé que la capitale, mais c’est ce que je désirais. Un endroit plus calme pour me reconstruire. Un endroit plus sûr, pour m’épanouir.

[…]

Je suis finalement arrivée, sept ans plus tôt, et Siloam Springs m’a captivée. Je suis restée inactive quelques semaines, le temps d’emménager, et puis j’ai dégoté un petit job. Mon père ne voulait pas, quand j’habitais Washington, que je travaille n’importe où. Il me faisait faire des stages dans des grandes banques, où dans des magasins de luxe. Mais ici, il ne peut pas me dicter ma vie. Ici, j’ai réussi à être employée par un magasin de lingerie. Ma passion.

Et petit à petit, j’ai fait mon trou. Je me suis intégrée à la communauté. J’ai enfin signé les papiers du divorce, et j’ai même, pendant un temps, envisagé de me remettre avec quelqu’un. Mon voisin, bien charmant, était l’homme idéal pour ça. Mais il est parti. Trop tôt. Un cancer. Il est mort deux ans après mon arrivée. Il a réussi à me faire croire à nouveau en l’Amour, le vrai, celui avec un grand A.

Aujourd’hui, je suis fin prête pour une nouvelle relation. Mes placards regorgent de lingerie en tout genre. J’ai longtemps été une fille à papa, mais je suis indépendante maintenant. Je sors et je m’amuse. J’ai tiré un trait sur le passé, et je ne compte pas m’y replonger.