Dans les derniers jours ma vie a pris un tournant drastique que je n’aurais jamais cru imaginer. Ça ne me déplaît pas exactement. Relâché, écrasé sur le canapé, je fixe le vide. Le sachet de poudre est toujours ouvert sur la table basse devant moi, le billet bleu que j’ai utilisé tout à l’heure pour me poudrer le nez traînant toujours, légèrement recourbé sur la table. Je suis détendu, aucun problème à l’horizon. J’ai terminé tout ce que j’avais à faire pour la journée et j’allume avec désinvolture une cigarette, ne pensant pas être dérangé de sitôt. Il ne se passe rien généralement dans le club à cette heure du soir. Il y a quelques vieux qui viennent, c’est tout, pas vraiment de grabuge et c’est parfait comme ça. Et puis je n’ai pas à m’inquiéter, la fille au bar n’est pas chiante, elle fait ses affaires et ne réplique pas aux clients quand ils sont désagréables. J’aime quand elles sont comme ça, ne causant pas de problèmes. La plupart du temps quand elles ne sont pas comme ça elles ne font pas long feu au bar. Elles retournent vite au poteau, et si elles ne font pas du tout l’affaire, elles disparaissent illico. J’ai plus de respect pour les barmaids que pour les filles qui se frottent sur le pole. Celles-là sont en général désespérées, elles ont besoin de fric et feraient n’importe quoi pour l’obtenir, même se retrouver backstage les cuisses ouvertes. Les barmaids ne vont pas backstage. Elles font leur boulot et c’est tout.
On frappe à la porte. Je soupire, agacé, puis espère un instant que ce soit Teo. Je pousse d’un pied la table basse pour l’éloigner du canapé, puis grogne un
« Oui ? » agacé. C’est une voix d’homme que j’entends. Je suis étonné. Généralement les videurs sont capable de régler les problèmes eux-mêmes.
« Y’a eu un problème, Kristjan. Un client a frappé une des filles… » Je soupire, un peu exaspéré. Je les paie justement pour régler ces problèmes et ils viennent me voir tout de même pour me demander quoi faire. Vraiment, l’incompétence règne dans ce club.
« Et alors? Expulse-le, c’est tout. Pas besoin d’en faire une histoire. » Silence, puis il reprend.
« Oui, mais c’est la barmaid. On peut pas la remplacer, et elle saigne… » Elle saigne? Je panique quelques secondes, mon cœur palpite mais c’est surtout à cause de la cocaïne qui fait son effet. Je me lève en vitesse et me dirige vers la porte que j’ouvre prestement, me retrouvant devant un homme carré, plus grand que moi aux cheveux foncés.
« Je vais aller voir. Il l’a frappée? Qu’est-ce qui s’est passé? » Il ne répond pas au début. Il n’était visiblement pas là quand ça s’est passé.
« Bah en fait j’étais parti fumer ma cigarette et quand je suis revenu… » « C’est bon, la ferme. Je vais aller gérer ça moi-même. » Je traverse le couloir à la lumière tamisée pour arriver dans l’espace bar, où je vois Katherina derrière le comptoir qui s’éponge le visage. Je ne parle que très peu à mes employés, mais s’il y a bien quelque chose qui me rend furieux, c’est lorsqu’on les abîme.
Je cherche des yeux le coupable, qui est occupé avec un autre des gardes du corps. Je m’approche de lui et lui lance de le jeter dehors et de le rayer du club. Je n’accepte pas les trous de cul ici. Je me retourne vers Katherina, me dirigeant derrière le bar pour la rejoindre.
« Pourquoi est-ce qu’il t’a frappé? » Mon ton est ferme, et je lui tends un nouveau mouchoir que je passe sous l’eau. Je parle vite, je suis sur les nerfs, la coke amplifie chaque émotion. J’ai les nerfs à fleur de peau.