On a tous besoin de croire en quelque chose,
moi je crois que je vais me servir un autre ricard !

Tout le monde s'imagine que son voisin a une vie plus douce que sa propre existence. On pense souvent que c'est l'Autre qui a une vie parfaite, tandis que la notre semble être un parcours semé d'embuches où on enchaîne les échecs. Comme ils disent, l'herbe parait toujours plus verte dans le champ d'à côté. Je pourrais être de cette majorité. Me dire que ces vingt-cinq dernières années étaient un véritable parcours du combattant et que je n'en ai pas encore fini avec toutes ces tempêtes qui ravagent ma vie. Sauf que je ne suis pas comme ça. Je préfère être optimiste, montrer à la vie que même si elle me donne toutes les raisons pour m'apitoyer sur mon sort, j'en trouverais toujours autant pour me relever et avancer. Vous n'avez aucune raison de m'envier non plus. Et puisque vous ne me croyez pas, puisque vous ne vous fiez qu'à l'image que je renvois de moi-même, je vais vous le prouver en vous racontant ma vie bien que ce ne soit pas mon fort. Alors installes-toi bien confortablement, je t'emmènes faire un voyage mouvementé ...


Assis sur la plage, je profitais du calme pour contempler l'horizon. C'était mon rituel quotidien lorsque mon moral n'était pas au plus haut. Ce jour-là, je venais de fêter mon dixième anniversaire avec ma mère et ma petite sœur. Où était mon père ? Je n'en avais aucune idée, et c'est son absence qui me touchait autant. Il avait mit les voiles lorsque j'avais deux ans, un peu avant la naissance de Cassandra. Je l'ai toujours désignée comme étant la coupable de son départ, et ce jour-là n'avait pas fait exception. Ma déception était telle que je m'étais violemment disputé avec les deux femmes de ma vie avant de quitter notre maison du bord de côte pour longer la plage jusqu'aux rochers.
« Vins ? ... » m'appelle sa petite voix douce et timide. Sans me retourner pour la regarder, je lui réponds « Vas t'en Cassis. » moins sévèrement que lors de notre dernier échange, sans pour autant être agréable. « S'il te plait Vins, arrêtes d'être en colère ... Tu me rends triste ... » dit-elle en s'approchant de moi sans s'assoir. De sa main de petite fille, elle m'attrape le bras pour me tirer doucement. « Viens jouer du piano, on fait la paix. D'accord ? » me supplie-t-elle en cherchant mon regard.
Elle savait très bien que je ne pouvais pas résister à son air de chien battu. En soupirant, je me suis levé en la prenant par la main pour rentrer à la maison et lui jouer du piano, comme elle me l'avait demandé.

Je ne pensais pas que quatre ans plus tard la vie m'assènerait un coup qui me ferait regretter ces petits moments de rancœur contre ma petite sœur. Je savais que ce petit ange était malade, mais je ne comprenais pas la gravité de son cas. Son état se dégradait petit à petit jusqu'à ce que la leucémie l'emporte. À partir de ce moment, tout s'est brisé en moi. Ma vie est partie en éclat. J'en voulais au monde entier et encore plus aux médecins qui n'avaient pas pu la sauver. Je suis devenu un rebel. Ça me fait rire aujourd'hui, mais ça l'était bien moins à l'époque. J'enchainais les conneries, me laissant emporter par des garçons plus vieux que moi. Le vandalisme, l'alcool et la drogue, ... En l'espace de deux ans je me suis transformé en véritable monstre. Et rien de lieu pour attiser ma haine que le retour de mon père. Cette fois-ci, c'était lui que je tenais pour responsable. Sa dernière solution a été de m'envoyer dans un camp de redressement qui m'a tout de suite calmé.

Passons sous silence une année de ma vie durant laquelle il ne s'est rien passé d'extraordinaire. J'étais de nouveau sur le droit chemin, mon père s'est de nouveau volatilisé et ma mère a sombrée dans l'alcool. Trois fois rien quoi.

Reprenant avec beaucoup de sérieux mes études, je me suis aussi mis à voyager un peu partout en Europe de l'Ouest. Mon cursus artistique m'a même poussé à m'installer en France avec une femme exceptionnelle qui m'avait accompagnée l'année précédente lors de ma réinsertion étudiante. Elle était beaucoup de choses pour moi, jusqu'à ce qu'elle disparaisse du jour au lendemain sans crier gare. Je me suis retrouvé seul, sans explications. Une nouvelle déception dans le bagage, j'ai décidé de mettre les voiles en Amérique pour tourner la page. Ne croyez pas que ça s'est fait en un claquement de doigt. Il m'a fallu du temps, et même aujourd'hui encore je ne pense pas en être remis.

Je me suis installé à Siloam il y a un an, juste après avoir obtenu mon diplôme. Ma nouvelle vie, je la croque à pleine dent. Mais je suis bien loin de me douter qu'une petite fille de sept ans va débouler dans ma vie et réveiller mes vieux démons.