Je serre la main de l’homme qui est venu signer un contrat important ce soir, débarquant directement d’Afrique du Sud. Un client que je n’avais pas vu depuis des années, déjà, mais qui soudainement a décidé de me donner un coup de téléphone cette semaine alors que mon agenda était pratiquement vide. Il a eu de la chance, c’est la première semaine depuis longtemps que j’ai des trous dans mon horaire. Je fais exprès de raccourcir mes journées pour être plus souvent à la maison, en réalité. Je veux être plus présent pour Teodora, lui montrer que je ne passe pas tout mon temps au travail. Ce n’est pas quand le bébé sera là que ce sera le moment de changer mes habitudes. Autant commencer maintenant, lui montrer que je fais des efforts tout de suite. Je sais qu’elle n’aime pas que je sois au club. Je suis entouré de femmes. Bien que je ne sois pas du genre à flirter ou à aller regarder les shows des danseuses et qu’elle le sache très bien, j’ai déjà eu droit à une petite crise de jalousie de sa part. Elle n’admettra jamais qu’elle est jalouse toutefois. C’est probablement ce que je trouve le plus amusant dans toute cette histoire. L’homme d’affaires me suggère d’aller passer un petit moment au bar et d’observer les filles sur le podium pendant que le club n’est pas encore bourré de monde. Je dois dire que j’hésite un instant. Il sait que je suis en couple. Certains hommes du milieu n’ont pas le même point de vue sur l’infidélité. Il m’explique qu’il est marié, lui aussi, mais qu’il ne se prive pas d’un peu de plaisir de temps à autres. J’ai bien envie de lui répliquer que je n’ai aucun problème à ce niveau, mais je me contente d’esquisser un sourire forcé et de lui tenir la porte alors que nous sortons tous les deux de mon bureau. Je le guide jusqu’au bar où il choisir un whisky, je commande un scotch pour ma part. Je n’ai pas vraiment très envie de boire, je ne terminerai peut-être même pas mon verre en fait. C’est seulement pour m’occuper les mains pendant que l’autre s’installe, commençant déjà à m’oublier et à se choisir une fille des yeux. Celle avec qui il ira dans les isoloirs probablement. Je porte mon verre à mes lèvres lorsque j’entends une voix claire et féminine m’interpeller. Ce n’est pas Teodora, je l’aurais reconnue tout de suite. Et elle ne vient jamais ici, de toute façon. Elle déteste cet endroit. Je me retourne pour remarquer une jeune femme blonde que je reconnais tout de suite comme étant cette mannequin et actrice qui est venue faire de la promotion pour le club il y a quelques jours.  Je lui souris poliment alors qu’elle s’approche, me demandant ce qu’elle vient faire ici.

Je remarque sa tenue de soirée, ce n’est pas très approprié pour une boîte de striptease, mais en même temps y a-t-il vraiment quelque chose d’approprié dans une boîte de striptease? Elle arrive bientôt près de moi, un peu trop près. Je recule par réflexe, fronçant légèrement les sourcils. Nos relations étaient purement professionnelles la dernière fois. Elles n’ont pas changées à ma connaissance. Elle rit doucement, m’appelant simplement « Monsieur » et je lui réponds poliment. « Mademoiselle Gartzea, bonsoir. » Des gens nous regardent, je n’aime pas vraiment cela. Le sud-africain m’interpelle. « C’est ta copine, Kristjan? » Je me retourne et lui répond sèchement. « Non, mademoiselle Gartzea a fait de la promotion pour le club. » Je pense qu’il n’a posé la question que pour me provoquer. Il sait très bien qui est Teodora Macek. Peut-être seulement de nom, ou de réputation, mais il doit se douter qu’elle ne doit pas ressembler à une poupée blonde. « Oh, je vois. Je vais vous laisser faire vos affaires, alors. » Il sourit d’un air moqueur et s’éloigne avec une des demoiselles qu’il reluquait depuis tout à l’heure, me laissant seul devant Luz. Je ne lui ai pas beaucoup parlé, sauf pour ce qui était des modalités d’affaires. « Qu’est-ce que je peux faire pour vous? » Elle me répond qu’elle passait par là et voulait simplement me revoir pour me remercier de l’avoir accueillie ici. Je souris à nouveau, toujours aussi poliment. Je n’achète pas vraiment son histoire, pour la simple bonne raison que je ne connais pas beaucoup de gens qui se promènent dans la rue en robe de soirée. « Oh, je vois. Vous passiez par là en robe de soirée? » Je marque une pause et ris légèrement. « Je plaisante. Tout le plaisir était pour moi, mademoiselle. Les clients ont adoré votre présence. Si vous désirez revenir, vous êtes toujours la bienvenue. » La soirée avait été un vif succès, on ne peut pas le nier. Le club a toujours été payant, mais cet événement était plus que rentable. Je remarque qu’elle me regarde un peu étrangement, et je sens les regards toujours posés sur nous. J’hésite à lui proposer d’aller dans mon bureau. Je ne veux pas qu’elle se méprenne sur mes intentions.

Je n’aime pas toute cette attention. Pas parce que je n’aime pas l’attention des regards, bien que celle-ci ne me plaise pas particulièrement car c’est souvent pour me juger négativement. En réalité, ce qui me dérange à ce moment précis, c’est que les gens nous regardent Luz et moi et puissent faire des liens qui sont bien loin de la réalité. Qui sait, peut-être certains iront s’imaginer que je suis en couple avec une actrice porno. Ce ne serait pas mon genre, je ne suis pas de ces hommes-là. Je remercie la jeune femme et lui fais remarquer que sa tenue est un peu particulière pour une simple promenade dans la ville. Elle dit qu’elle passait simplement par ici, mais aux regards qu’elle me jette, je doute un peu de la véracité de ses faits. Nous échangeons des banalités, elle me parle des stripteaseuses, me dit que celles-ci sont talentueuses. Elles font ce qu’elles peuvent, bien que j’essaie de ne pas embaucher n’importe qui. Avant, c’était un peu plus brouillon, j’avais surtout besoin de personnel et la qualité de la marchandise ne m’importait peu. Aujourd’hui, c’est différent, je sélectionne un peu plus les demoiselles bien que je préfère souvent laisser d’autres employés évaluer leurs « compétences ». Je ne me sens pas particulièrement à l’aise à regarder les femmes se trémousser sur le podium. Généralement, je ne peux m’empêcher de me sentir coupable et de penser à Teo, car bien que ces femmes ne m’attirent pas du tout, elles sont tout de même nues devant moi. Certaines ont déjà tenté d’avoir plus qu’un travail, c’est pourquoi je préfère laisser les autres s’en charger. C’est beaucoup moins gênant que d’avoir à les repousser, quoi que je sois parfaitement capable de le faire. Elle me mentionne qu’elle aime bien se promener en robe de soirée, juste au cas où. Son clin d’œil me fait involontairement froncer les sourcils, et je cherche à détourner la conversation pour m’éclipser bien que je ne crois pas que ce soit possible. Elle est visiblement venue ici pour me trouver et rien d’autre. Un jeune homme s’approche et vient me sauver de cette conversation, s’adressant à l’actrice porno devant moi.

Je l’écoute lui parler et la couvrir de compliments et je m’efforce de ne pas éclater de rire. Je connais bien le gamin. C’est un client régulier. Depuis sa majorité, il passe énormément de temps au bar. C’est un habitué des isoloirs et il lui arrive même quelques fois de payer quelques extras pour une chambre à l’arrière avec une des prostituées. Ça ne m’étonne pas vraiment qu’il soit un fan de l’actrice. Je tente de regarder ailleurs, détournant les yeux alors qu’ils prennent une photo. Je tente de faire abstraction du fait qu’il essaie visiblement de la tripoter, comme probablement bien d’autres hommes avant lui. En même temps, c’est son travail, non? Le jeune homme s’éloigne et je le regarde déguerpir en regardant son téléphone, visiblement satisfait du cliché qu’il mettra sans doute en ligne d’ici quelques minutes. Mes mains s’enfouissent dans mes poches alors que je cherche quelque chose à dire mais c’est à nouveau elle qui brise le silence. Elle prétexte qu’elle se sent reconnue. En même temps, beaucoup de ses « admirateurs » doivent se trouver ici. Elle me demande si l’on ne pourrait pas aller ailleurs. Je suis mal à l’aise mais ne le montre pas, restant impassible. Mes mains sortent de mes poches et je la regarde qui semble elle-même un peu gênée de la situation. Je fronce légèrement les sourcils mais me radoucis rapidement et souris poliment. « Oui, je peux parfaitement comprendre. Si vous voulez bien me suivre, on sera sans doute plus confortables dans mon bureau. » Je lui fais un signe de la main pour l’inviter à m’accompagner et traverse la salle pour m’enfoncer dans le petit couloir. Le son de la musique est déjà moins fort. Je cherche mon trousseau de clefs pour déverrouiller la porte et laisse la jeune femme entrer avant moi. « Je ne crois pas que l’on viendra nous déranger ici. Qu’est-ce que je peux faire pour vous ce soir, mademoiselle Gartzea? » Je l’appelle toujours par son nom, jamais par son prénom. J’essaie de garder une certaine distance entre nous de cette façon. Je traverse la pièce et vais m’installer à mon fauteuil derrière mon bureau, m’attendant à ce qu’elle prenne place sur une des chaises capitonnées face à moi. Je regarde le canapé en cuir du coin de l’œil, Généralement ce sont les prostituées pour mes clients qui s’y installent. Si elle est venue pour le business, je suppose qu’elle voudra parler en face à face. Je sors lentement une cigarette de mon étui. Je devrais avoir arrêté de fumer, mais ce soir j’ai l’impression que c’est mieux comme ça, je suis étrangement nerveux et j’ai besoin de faire quelque chose de mes mains pour ne pas les voir trembler ou les enfouir dans mes poches.