Je ne me souviens plus vraiment pourquoi j’avais décidé de revenir dans ce bar. Ma vieille Cadillac m’attendait à la maison, j’avais des bouteilles de scotch de bien meilleure qualité, et par-dessus le marché je pouvais me passer du bruit ambiant. Probablement est-ce dû au fait que mon téléphone soit rempli de messages vocaux, ma mère, mon producteur, mon agent, ma mère, cette fille qui rêve d’une promotion canapé, ma mère, mon collègue, ma mère, la police, mon père qui me dit probablement de rappeler ma mère… Quelle vie j’vous jure. Et puis ce bar puait la défaite, tous ces riches à l’ego gonflé de cocaïne ne rêvaient que d’une chose, se foutre sur la gueule bien proprement. Mais ce n’est pas comme ça que ça marche dans notre monde hum ? C’est réservé aux brutes, nous, la haute société, on est civilisé. On écoute de la musique qui repose, on s’excite pas après le premier verre, non, vraiment, je n’étais pas dans mon élément. Même mon costume, pourtant sur mesure, m’étouffait. Et on va s’étonner que je vide une partie du bar ? Plusieurs personnes se succèdent à côté de moi, le problème des riches c’est qu’ils s’imaginent que le monde leur doit tout. Ce qu’ils ne savent pas c’est que contrairement à leurs comparses, je ne suis pas du genre à discuter de la bourse, du dernier tournoi de je ne sais quel sport, de ce qu’à fait untel hier soir, de la future soirée du siècle, non moi min intérêt il est seulement titillé quand ils me parlent de leurs bagnoles. Ça ne dure pas réellement quand j’me rend compte que la moitié achète des voitures de merde pour en mettre plein la vue aux camarades. C’est à qui aura la plus grosse. Comme quoi, multimilliardaire ou pas, on en revient toujours à ce qu’il se passe sous le pantalon.

Je m’apprêtais à quitter le bar, mon cerveau m’ayant signalé qu’on n’avait plus rien à faire ici. Comme si de base il y avait quelque chose… Jusqu’à ce qu’une main se pause sur mon épaule. « Et bien… Apparemment tu n’aimes pas rester sobre je me trompe ?  » Oh.
Bah oui, mais quel idiot.
Le voilà le quelque chose, voilà pourquoi j’étais là. Le médecin m’avait prévenu après mon accident, mon cerveau ne serait plus jamais le même. Certes, oui, mais quand même oublié que je suis venu juste pour regarder chanter la belle Téo… Talo… Thélo… Thélona ? Théloné ? Thélonie ? Rachetez-moi des neurones s’il vous plaît. J’ai loupé son set du coup, j’ai dû l’entendre d’une oreille, et je n’y ai pas prêté plus d’attention qu’à une vieille Vauxhall. Bravo Edwin, je ne te félicite pas. Je repousse du dos de la main mon verre, semi plein, de whiskey. Moi ? Pas sobre ? Je ne vois pas de quoi tu parles. « Mais apparemment tu es un peu trop vieux et les baisers n’ont plus aucun effet sur toi c’est cela non ? » Un sourire me fend les lèvres. Ahhh, elle est mignonne. J’ai la fierté un peu piquée compte tenu de la remarque sur mon âge. J’hausse un sourcil avant de lui répondre, amusé. « Sweetie, la vie est dure, un jour toi aussi tu finiras vieille, des rides creuseront ton visage angélique » Je glisse mes doigts près des siennes pour prendre ces mains entre les miennes histoire d’illustrer mon propos « tes mains ressembleront à celle d’une sorcière, en plus t’as des longs doigts, se sera encore pire, tes cheveux ne seront plus que des brins de pailles blanchâtres, ton corps deviendra tout flasque, tu seras obligé de faire du sport, tu ne tiendras même plus après une gueule de bois, et ton cerveau te jouera des tours. » Je repose ces mains et lui souris d’autant plus. « Tu verras tu vas adorer. Bref, tu ne m’avais rien promis ce soir, et j’ai passé la soirée entouré de personne tellement charmante… et adorable. » Tu la sens l’ironie là ? Tu la sens. Comprend pourquoi il est compliqué pour un homme tel que moi de garder son cerveau hydraté avec uniquement des molécules d’eau. Cela dit, le fait d’avoir le cerveau intoxiqué ne m’empêche pas de baratiner. Bien au contraire. C’est un pré requis. « Tu sais, ce serait plus simple si tu me donnais ton numéro, ou que je te raccompagnais chez toi, tu vois, comme ça, j’éviterais de finir au bar à t’attendre. » J’ai les canines qui sortent pour le coup. Je n’avais probablement pas retenu la leçon de notre premier rendez-vous. La subtilité ça n’a jamais été mon fort de toutes les manières.