c'est l'histoire peu ordinaire d'un homme qui se trouve l'être

Croyez bien que de devoir dévoiler sa vie ainsi ne lui plaît guère. Il préférerait largement entretenir le mystère que sa personne inspire aux multiples curieux de cette ville. En premier lieu car son passé n'est pas tout rose, mais surtout, parce qu'il a travaillé toute sa vie pour qu'il ne fasse plus partie de lui.

Et pourtant, ça lui collait encore à la peau, cette merde.

Comme vous le savez peut-être, Thomas James Lockwart est né à New York. Dans un charmant quartier du Bronx (vous noterez le ton particulièrement ironique de cette phrase...), dans une famille toute aussi charmante qui vivait dans une misère sans nom. Mais à vrai dire, cette partie-là de sa vie, il n'en a presque aucuns souvenirs.

Oui, les ennuis ont commencé très tôt pour lui.

Disons qu'il s'agit peut-être d'un mécanisme inconscient de son cerveau, ou tout simplement d'un réflexe de protection, mais les quatre premières années de son existences sont presque immémorables pour lui. Tout étant dans le presque, car il lui arrive encore de faire des cauchemars ou des rêves étranges qui lui semblent appartenir à cette époque mais dont il a du mal à identifier les faits de ses fantasmes.

Son premier souvenir, ou du moins celui qu'il accepte de se rappeler clairement, est le jour où ses parents sont morts. Il n'a rien vu, rien entendu. Juste constater les corps ensanglantés et le sol de leur pseudo-cuisine, dans leur appartement totalement insalubre au sixième étage d'un immeuble en ruine. C'est cette image qui a marqué le début de sa nouvelle vie, la vie qu'il a choisi de se créer.

Il n'eut pas de grandes funérailles, ni de pleurs à n'en plus pouvoir. Juste un profond sentiment d'abandon qui ne le quitta plus jamais et qui le fit sortir de la maison aussi vite que s'il avait un troupeau de gnou aux trousses.

C'est comme ça qu'il se retrouva dans la rue.

Au début, il pensait que ce serait du pain béni de se débrouiller seul, même à son jeune âge. Il avait observé le monde alentour et savait comment survivre. Mais très vite, il réalisa que l'autonomie, même pour atteindre le niveau de vie médiocre que ses parents lui avaient offert, était encore à des milliers de kilomètres.

Et il rencontra Gary.

Dans une jolie histoire, de celles que l'on peut trouver dans les romans, Gary aurait pu être son sauveur, l'homme qui l'aurait pris sous son aile pour le sortir de cette galère... Pas tout à fait.
Au départ, il lui avait semblé aimable. Puis utile, quand il lui avait proposé de travaillé pour lui. C'était juste un boulot de mendiant mais qui lui promettait une miche de pain par jour, et ça c'était presque du luxe. Finalement, il appris que Gary n'était pas quelqu'un de bien, ni pour lui, ni pour quiconque, mais qu'il ne trouverait pas mieux, malgré les coups, les insultes et le travail forcé.

Puis, comme tout dans sa vie jusqu'à présent, cela pris fin.

Le jour de ses onze ans fut le deuxième souvenir très marquant. Il y eut une descente dans son quartier. Avec le temps, Tom finit par passer du statue de mendiant à petit dealer. Il était jeune, même pour son environnement détestable, mais assez malin pour garantir à son patron un travail bien fait et sans embrouille. Le jour de son anniversaire donc, des policiers firent leur travail et prirent d'assaut la planque pourrie où vivaient Gary et ses sbires. Étant un enfant, il fut placé sous surveillance pour finalement atterrir dans un orphelinat.

Une chose à savoir aussi sur ce gamin de l'époque, c'est qu'il ne parlait que très peu. Même à sa première rencontre avec Gary, il avait suffit d'un « Tu veux travailler pour moi, gamin ? » pour clore la conversation avec le petit blond.

Et quand il fut retiré de ce milieu de malfrats, la première question qu'on lui posa le pris un peu au dépourvu.

« Comment tu t'appelles, petit ? »

Personne ne l'avait jamais vraiment appelé par un prénom. Il n'avait pas d'amis, et il avait de vagues souvenirs bien renfermés de ses parents. Le seul nom qui lui restait en tête, était en fait un prénom : James.

Comme son père...

Parce que les cris de ce nom dans son anciennes maison n'avaient pas pu lui sortir de la mémoire. Que ce soit des cris de détresses, de colères, de haine, ou de plaisir, il n'avait jamais pu oublier la voix de sa mère hurlant ce nom.

Le plus désarmé des deux fut sûrement l'agent de police qui pris son silence comme un mutisme lié à ce traumatisant début d'existence. Mais en fait, le garçon réfléchissait. Car il fallait lui avoir un nom, n'est-ce pas ?

Et ça ne pouvait pas être James. Car il n'était pas son père. Et ne voulait pas l'être. Pas entièrement.

Thomas.

Comme le gentil fils du boulanger qui lui donnait du pain en douce quand il restait des morceaux en fin de journée.

« - Je m'appelle Thomas. 
- Juste Thomas ?
- Thomas... James...
- Thomas James, alors.
- Non, non ! James c'est pas un nom de famille, Monsieur ! »

Le sourire amusé qu'avait eu l'agent l'avait surpris. Il n'avait jamais vraiment amusé quelqu'un.

« Et c'est quoi alors ton nom de famille ? »

La scène, en oubliant le contexte sordide de cette histoire aurait pu être assez comique quand on imagine le petit garçon cherchant partout autour de lui  pour trouver l'inspiration.

La chance. Le destin. Le livre posé sur le bureau du commissaire sans que ce dernier ne le sache.

« Lockwart. »

En fait, pour tout vous dire, Thomas James Lockwart, il est né à onze ans, dans un poste de police en plein cœur de Manhattan. Et ça, c'est pas du pipo.

Enfin bref, débuta alors la grande épopée de l'orphelinat. C'était pas la joie. Mais c'était mieux que rien. Rien étant déjà mieux que ce qu'il avait avant...
C'était quand même très difficile, de reprendre une scolarité à son âge, de réapprendre les bases que tout les gamins connaissaient sauf lui, de s'intégrer, d'apprendre à vivre en société. Du moins une société normale... Et il s'y habitua, sans vraiment s'y habituer...

Mais la vie n'a pas été qu'une chienne avec Tom. Pour le plus grand étonnement de tous, il s'est avéré un garçon particulièrement éveillé. Tellement qu'il dépassa le niveau intellectuel de ses camarades. Ce n'était pas vraiment une question de capacités. Il n'était pas plus intelligent que les autres...

Il avait juste plus envie de réussir que tout le monde.

Dés qu'il compris les enjeux que sa réussite à l'école pouvait lui coûter, il ne cessa jamais de travailler. Et sans mentir, il ne passa son existence adolescente uniquement à cette tâche. Il sauta plusieurs classes. Du moins, appris plus vite et beaucoup plus en détail des choses qu'il n'avait pas à savoir et sorti diplômé avec une moyenne au-delà du réel connaissant les antécédents de ce petit orphelin.
Rien ne comptait plus pour lui que cela, pas d'amis, encore moins de béguins, aucuns loisirs autres que ce qui toucher à l'école. La seule chose qui importait, était qu'il arrive à se casser d'ici et avoir la vie qu'il rêvait. Celle qu'on ne lui avait pas offerte.

C'est comme ça qu'à dix-huit ans, il se retrouva aux portes du pensionnat, diplômé, responsable, et libre. Et c'est un peu par hasard qu'il croisa la route de Siloam Springs.

En sortant du pensionnat, il monta dans un bus, avec le peu d'argent que l'état accordé à l'enfant démuni qu'il était, et se retrouva à traverser tout le pays. La seule chose qu'il désirait était de continuer à apprendre et de faire de sa vie quelque chose de grand. De beau. De bien...

Siloam Springs fut une réponse comme une autre.

Il rentra à l'université et... Là, les choses ont commencé à être intéressantes.

Il était parti de rien. Et du jour au lendemain, il était le petit génie plutôt mignon et mystérieux du campus. Il travaillait dans une station service pour avoir un peu d'argent de poche en plus de sa bourse et parvenait ainsi à un peu plus s'intégrer dans la société. Acheter de nouveaux habits, acquérir de nouvelles technologies, s’intéresser aux arts, apprendre le piano, se mettre au sport, se découvrir une passion pour le dessin...

Se faire des amis. Draguer. S'amuser. Vivre.

C'était une prise de conscience comme une autre. Jusqu'ici, il n'avait fait que survivre comme il pouvait. Maintenant il était libre, il pouvait profiter... Et il profita... Un peu trop même...

A force de s’imaginer avoir tout raté, il voulait tout faire, tout tester...

C'était donc sans surprise qu'il tomba dans des vices plutôt connus. L'alcool, la drogue... Et quand on parle de drogue, on parle de vrai drogue, de choses pas recommandables. C'était à la fois retomber dans son passé, et s'en éloigner encore plus. Il mit d'ailleurs, un temps fou pour en sortir.

Et encore, on était pas à l'abri d'une rechute...

Mais disons qu'aujourd'hui il est clean... Ah, entre temps ? Rien de bien folichon. Il est devenu un coureur de jupons invétéré que ce soit chez la gente masculine ou féminine (pourquoi se priver hein?), il a ouvert plusieurs entreprises. Oui, vous avez bien lu, plusieurs dont il dirige l'avancement d'une main de fer. C'est un patron respecté, bien que jeune. Et qui travaille d'arrache-pied pour dynamiser le pan économique de Siloam Springs.

Et par conséquent... Il gagne beaucoup d'argent.

Et ça, ça fait la différence. C'est en parti pourquoi son « lui » d'avant, n'existe pas. Avant Thomas James Lockwart, ce n'était pas lui. C'était juste un gamin perdu et désolé.

Aujourd'hui... Aujourd'hui, c'était un homme. Pas tout à fait bien dans sa peau, absolument pas stable, mais foutrement sûr d'une chose...

Il aurait jamais pu faire mieux.