Assiste ton frère, qu'il soit oppresseur ou opprimé.

Faussement endormie sur le canapé en cuir noir qui trônait dans le salon, je sentais que lorsque j’ouvrirai les yeux, une journée de merde allait recommencer. Le bahut était à bannir, j’allais rentrer en terminale d’ici peu et cette idée ne m’enchantait pas spécialement. Et puis ça voulait dire subir encore une fois les remarques nulles des profs, les gens carrément craignos et surtout les « t’as fais tes devoirs ? » exaspérants de ma mère. Oui, je vivais chez mon frère depuis peu. Mais elle trouvait toujours un moyen de passer, ou d’appeler, pour tout gâcher. Même si je n’aimais pas … non, même si je détestais la tête d’enclume qui me servait de frère, lui au moins, il me laissait vivre ma vie comme je l’entendais. Et puis il était bien trop mal placé pour me donner des leçons. Grognant, je relevai la tête, les yeux encore clos. Virant mon chat au passage, qui miaula de mécontentement.
Doucement, j’ouvris les paupières et la lumière du jour agressa leur jolie couleur. Je pestai intérieurement et me redressa totalement. J’étais toute habillée, un jean, un débardeur, des chaussettes … j’n’avais même pas pris le temps de me mettre en pyjama. Et c’est en traînant des pieds que je me rendis dans la cuisine. J’attrapai la bouteille de lait que je vidai dans un bol propre avant de la remettre, vide, dans le réfrigérateur. Oh, oui, voir la rage sur le visage endormit de Cael, ce sera un excellent moyen d’embellir ma journée. Et puis d’un coup, je gueulais dans tout le loft : « CAEEEEEL ?! Lèves-toi, y’a Aedaaaan ! » Dès qu’il était question d’Aedan, Cael se précipitai à chaque fois. Etrangement, depuis le retour du camping où les deux garçons étaient partis, plus aucun signe de vie du connard de brun. Alors, ouais, peut-être que j’allais me faire engueuler pour cette vanne de très mauvais goût. Mais temps pis.

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Ah, mais avec quel plaisir je l’avais vu se ruer dans la pièce principale, les yeux recherchant en vain un être qui ne se trouvait pas là. J’apportais mon bol à mes lèvres, tandis qu’il me lâchait un « Mel, j’te déteste », déprimé et dégoûté. Un rictus apparut sur mon petit visage angélique, et je répondais d’une voix complètement mielleuse : « Je sais ! » Je savais qu’il me détestait. Tout comme je le détestais. Nous n’étions pas faits pour nous entendre lui et moi. C’était une éternelle bataille qui m’abîmait un peu plus à chaque instant. Ouh, deuxième rictus quand il se rendit compte que la brique de lait était on ne peut plus vide. Il me la balança dessus, lorgnant sur mon bol. Bol que je m’empressais de vider dans l’évier. « Hm, j’en veux pas en fait. » J’étais une belle petite conne. Une plaie, un monstre, une personne qu’il aurait préféré ne pas avoir dans son entourage. J’étais persuadée de cette réalité qui tuait. Déposant mon bol dans l’évier je m’approchais de la boule de nerfs que je venais de créer, tout en prenant soin de tendre les bras. Je le serrai un court instant, puis je reculai et l’observai, l’œil malicieux. « Bien dormis Aurore ? » Référence à la Belle au bois dormant. Cet abruti ne comprendrait certainement pas. Alors j’ajoutai : « Désolée, le Prince Aedan n’était pas vraiment là, mais tu m’aurais laissé crever sinon. » Et j’étais certaine d’avoir raison. Je savais que Cael éprouvait plus que de l’amitié pour son brun. Mais c’était comme tabou, je ne lui en avais jamais touché un mot. Après tout, moi aussi je cache des choses concernant cet enculé d’héritier.

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La haine rythmait nos journées, les hurlements étiraient nos sourires et parfois les coups ponctuaient cette relation fraternelle peu fusionnelle. Cael était l’aîné. Il était né le premier et je comptais bien le lui faire payer. Parce que oui, j’aurais voulu être la plus grande, avoir toute l’attention de nos parents, ne pas entendre ces phrases : « Cael a déjà fait cette connerie, on connaît la chanson, Mélody ! » ou encore : « Tu vas finir comme ton frère ! ». Justement non. C’était lui qui avait lâchement copié mon caractère. C’était lui qui s’était endiablé, il avait copié mes manières de délinquante. Nos parents devaient parfois se demander ce qu’ils avaient fait pour mériter ça. Un fils et une fille aussi dévergondés l’un que l’autre. Parfois je m’en voulais d’être comme ça, mais ma vie avait un sens. Bref. Pas un monstre ? Sa réponse m’arracha un petit rire moqueur. « Mouais, à d’autres. » qu’est-ce qu’il m’énervait avec sa tête de petit chien battu. « Vous vous êtes engueulés Ae’ et toi ? » Ben oui, c’était louche. Ils ne se voyaient plus, ne se parlaient plus. Et puis bon, si c’était le cas, j’allais avoir un nouvel instrument de torture envers mon frère.

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J’avais l’impression d’être la lionne autour du bébé gazelle. Je n’attendais que sa réponse avant de pouvoir lui foncer dessus et le dévorer. Le blesser, l’entendre hurler. C’était ce qui rythmait notre quotidien, à Cael et moi. J’avais touché une corde sensible. Mais il n’était pas dupe, et c’est avec un grand sourire que je lui lançai : « S’il te détestait tant que ça, il ferait pour te donner des nouvelles, pour te montrer que lui, il va bien. » Je m’approchai du blond qui me servait de frère. « Crois-moi, il doit être en boule dans son lit à pleurer comme un bébé. » Mes doigts courent sur la chevelure encore en bataille de mon vis-à-vis. « En fait je m’en fous, si tu savais. C’était juste pour pouvoir te torturer un peu plus. » Et un autre sourire. Pauvre type. Il me faisait vraiment pitié … vraiment. « ça va aller ou je t’offre un mouchoir ? » Et je lui tirai la langue, appuyant mon index contre ses côtes. Peut-être qu’une part au fond de moi adorait ce garçon. Peut-être que c’était pour ça que je vivais là, chez lui, que je lui pourrissais la vie.

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Sa réponse me fait encore plus mal. Non. Non, bien sûr que non que ça ne m’arrangerais pas que mon grand frère meure. C’est débile. Même si jamais je ne lui avais dis « je t’aime », même s’ils étaient tous remplacés par des « j’te déteste », j’aimais Cael. Heureusement. Mais jamais je ne lui avouerais. J’ouvre la bouche, mais finalement j’ai pas envie de lui dire que je tiens à lui. Il n’a qu’à le savoir. Je veux partir. Allez pleurer dans les bras de mon meilleur ami, ou dans ceux de Chris. Et finalement, ce sont les bras de mon frère qui se referment sur moi. Je lâche un hoquet de surprise. Et ça me fais mal quand il souffle mon prénom, comme s’il devait s’excuser de toutes mes conneries. Je mords ma lèvre inférieure, la tête contre le cœur de Cael. « Pardon. » C’est tout ce que je trouve à dire. J’entoure sa taille de mes bras et le serre un peu. C’est … rare. Presque inexistants, ces moments avec le blond. « J’suis désolée, excuse-moi. » et demain ça recommencera. Les engueulades, les cris, les pleurs. Avec le câlin en moins, certainement.

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« Je t’aime Mélody ». ça résonne dans ma tête. Je la relève. J’ai rêvé ? J’ai forcément rêvé ! Cael ne m’aurait jamais dis ça en temps normal. Oui, mais ce n’est pas un temps normal, me chuchote une petite voix dans ma tête. Je le serre d’autant plus. Mon grand frère. Je lui pourris la vie, je le frappe, je le fais pleurer. Et il trouve encore la force de me dire ces mots. Je souris, heureuse. Mais aussi un peu gênée. Parce que ce n’est vraiment pas commun entre Cael et moi. Je me hisse sur la pointe des pieds. « Je te dirais pas que moi aussi, j’aurais trop honte. » Je me racle la gorge et lui chuchote « alors, tu vas aller le dire à Aedan, ça aussi ? »

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J’aime pas vraiment pleurer. Encore moins devant Cael. Mais là, c’est plus fort que moi. J’ai l’impression d’être une gosse qui vient de s’écorcher le genou. Est-ce que le blond et moi, on a déjà partagé des moments semblables ? Je ne m’en souviens pas. Il attrape mon visage entre ses deux mains et essuie mes larmes avec douceur. Puis il claque un baiser sur mon front. Même ma mère, même mon père, n’ont jamais été si … doux, avec moi. Si parental, j’ai envie de dire. J’essaie de lui sourire. Je sais que je suis une plaie, je le sais. Je sais que demain, je recommencerai à l’emmerder, à lui faire la misère. Mais je sais aussi que quelque chose à changer. J’ai presque envie de tout lui dire, tout ce que j’ai sur le cœur, tous ces problèmes d’ado’ qui me rendent folle. Mais non, à la place, je lui parle d’Aedan. Il n’a pas l’air surpris du fait que je sache qu’il soit amoureux du jeune Klein. Tant mieux. « A … avant que tu te lèves, je t’ai dis qu’il y avait Aedan, mh ? » j’attrape son portable que j’ai fourré dans ma poche à son arrivée. « C’était pas tout à fait faux. » et je lui montre un sms. Un seul. Un espèce de rendez-vous que lui a donné ce petit con d’héritier.

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Cael sourit. Alors je souris aussi. C’est comme si il m’avait contaminé d’un simple petit geste. Il semble heureux. Même si je sais qu’il ne le sera plus d’ici quelques temps. Je ne dis rien, je brandis son portable, jusqu’à ce qu’il me pose la question fatidique. Je souris un peu, hausse les épaules. « Bah, j’voulais jouer à Candy Crush et comme j’ai plus de vies, j’ai été sur ton compte. » Je lui rends son téléphone et lui désigne l’étage. Il faut qu’il aille à la salle de bain. Qu’il se prépare. Qu’il se mette en tête qu’il va enfin revoir son abruti de meilleur ami. « Tu devrais commencer à te préparer. Et après, ça te dis une journée avec moi ? » Genre shopping. Payes-moi des fringues. Allez Cael, bouge ton cul !

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