« Je vois pas pourquoi j’y retournerais, ça vaut pas la peine, je sais même pas pourquoi j’y suis allé en premier lieu. C’était trop con. » Je porte le café à mes lèvres en disant ça, mon collègue me regardant en faisant une moue. Je parle d’Azalyne, parce qu’on m’a fait savoir qu’elle se portait un peu mieux. La dernière fois, elle m’a littéralement chassé de sa chambre alors que je tentais simplement d’être présent pour elle dans un moment difficile. Elle me reprochait d’avoir été con avec elle, c’est normal, mais je pense que vu la situation elle aurait tout de même pu faire un effort. « Tu devrais aller la voir quand même, Sullivan. Elle était en état de choc, là si t’es chanceux elle sera peut-être plus calme. » Je grimace légèrement, je ne sais pas trop si j’ai vraiment envie d’aller la rejoindre à l’hôpital. Si elle me rembarre ça ne servira pas à grand-chose d’y être allé de toute façon. Je pousse un soupir agacé avant de déposer la tasse presque vide sur la table. « Eh puis merde, j’vais y aller tiens. J’ai que ça à faire de toute façon me balader à l’hôpital. » Mon ton est légèrement sarcastique. À vrai dire, la dernière fois où j’y suis allé, tous les employés de l’hôpital qui la connaissent me regardaient d’un air de tueur. Et comme elle est infirmière, il y avait tout de même pas mal de gens qui étaient au courant de notre idylle. Dire qu’à un moment je rêvais de la marier et lui faire des enfants, maintenant je ne sais plus trop quoi faire avec Azalyne. Je suis à mi-chemin entre le découragement et la nostalgie. Je ne sais même pas si c’est possible, en réalité. Peu importe. « Bon, tu vas y arriver mec, c’est pas si terrible, tu t’es déjà pris une balle dans la cuisse et t’as failli crever dans un incendie, j’vois pas comment une visite à ton ex pourrait être si terrible. » Il joue au rigolo. Je lève les yeux au plafond, ne sachant pas quoi répondre. « Mouais… » C’est tout ce qui sort. Je me lève et termine ma tasse avant d’aller la déposer dans l’évier de la salle des employés. J’aurais pu la mettre au lave-vaisselle, mais je me dis que quelqu’un le fera bien, pour une fois que ce n’est pas moi qui se tape cette corvée. J’enfile mon manteau léger avant de sortir de la chambre, m’éclipsant pour aller à ma voiture. J’ai l’impression d’être un gosse qui a rendez-vous chez le dentiste. Je redoute la réaction d’Azalyne quand elle me verra débarquer.

Je regarde les passants sur les trottoirs alors que je m’engage sur la longue rue qui mène à l’hôpital. Je prends mon temps et ne roule pas trop vite. Je suis nerveux, comme si j’avais fait quelque chose de mal. En réalité, je n’ai pas été très correct avec elle cette fameuse soirée au bar, mais sinon je ne suis pas en faute dans cette histoire. Et j’ai encore été là pour elle quand elle s’est foutue dans la merde. Je suis venu dès que j’ai su qu’elle était en train de crever. On ne peut pas dire que je sois vraiment le méchant dans cette histoire. Bientôt, la grande bâtisse blanche que je redoutais apparaît devant mes yeux et je ralentis avant de m’engouffrer dans le parking pour les visiteurs. J’ai plutôt de la chance et trouve facilement une place pour garer le gros SUV noir. Je prends mon courage à deux mains et me dirige vers l’entrée, espérant que personne ne me remarque. Pourtant c’est loupé, car à peine deux minutes après mon arrivée, une infirmière m’accoste pour me parler d’Aza. Elle me dit qu’elle ne sera sans doute pas très réceptive, je n’en doute pas une seconde. J’ai tout de même droit au numéro de sa chambre. C’est le même que la dernière fois. Je soupire avant de fausser compagnie à la demoiselle, me dirigeant donc vers l’abattoir, ou plutôt la chambre d’hôpital où repose mon ex-petite-amie. La porte n’est pas entièrement fermée quand j’arrive et j’ai un moment d’hésitation. Je ne sais même pas ce que je vais lui dire, je n’ai pas élaboré de plan. Je cogne trois coups avant de pousser sur la porte qui grince légèrement, puis je tombe nez à nez avec elle qui lit son dossier, assise en tailleur sur le lit. « Je suis venu pour voir comment tu allais, pas pour t’énerver. » Je parle rapidement avant qu’elle ne puisse prendre la parole puis reste planté comme un idiot au milieu de la chambre.

Elle me lance qu’elle va bien. C’est déjà ça de pris, au moins elle ne commence pas en m’attaquant comme la dernière fois. Elle me dit que je peux m’en aller, qu’en fait elle sort dans dix minutes. Je suis content d’entendre ça, pour elle car elle va pouvoir enfin retourner chez sa sœur mais aussi pour moi car je n’aurai pas à m’éterniser ici. Je suis venu simplement parce que je me sens coupable et que je voulais faire une dernière tentative pour réparer les pots cassés. Pas que ça m’obsède tant, c’est simplement que je déteste savoir que je passe pour le trou de cul dans cette histoire alors que je n’ai pas été si méchant. Bien sûr, ce n’était pas génial ce que j’ai fait lorsqu’on s’est revus au bar, mais j’étais furieux et ivre, donc je n’avais pas toute ma tête. Je n’ai pas vraiment réfléchi et je ne mesurais pas mes paroles. C’est elle qui est partie de chez moi ce soir-là, peut-être que les choses auraient pris une tournure différente si elle était restée. Peu importe, ça ne sert à rien de ressasser cette soirée désastreuse. Aujourd’hui, je suis là pour venir voir comment elle va, et visiblement elle semble se porter mieux. Je n’aurai donc pas à rester avec elle, ce qui est une bonne nouvelle aussi. Je la regarde se lever, restant toujours dans mon coin. Elle range ses effets personnels dans un sac et pendant ce temps je fixe le plancher. Je ne sais pas si je devrais prendre la fuite tout de suite, ou attendre qu’elle ait vraiment son congé. En même temps, si j’attends qu’elle ait enfin son congé, je serai sans doute coincé pour sortir de l’hôpital avec elle, et je préfère ne pas trop avoir à me promener avec Azalyne. Les gens vont encore juger et sauter aux conclusions trop rapidement. Elle me tire de mes pensées en me parlant de son overdose. Elle me dit qu’elle se souvient finalement de ce qu’elle était en train de faire lorsqu’elle a chuté. Elle tapait sur son punching bag. Je ne sais pas trop quoi lui dire, et je me contente de hausser les épaules. « Ah…Tant mieux si tu t’en rappelles alors. » Je sais que c’est plutôt ordinaire, mais je n’ai aucune idée de quoi lui dire d’autre. Ce n’est plus comme avant, notre relation est assez stérile. J’ai eu peur pour elle la dernière fois parce que je me sentais coupable, sachant que c’était un peu ma faute si elle avait fait ça. Elle a probablement pris trop de cachets sous l’impulsion, sans réfléchir parce qu’elle était trop en colère. J’aurais dû partir du bar et l’ignorer ce soir-là. J’enfouis mes mains dans mes poches.« En fait t’as peut-être pas tort, je devrais peut-être y aller. Je passais juste pour prendre des nouvelles, j’avais affaire à l’hôpital. » Je mens et ce n’est pas vraiment mon genre, mais j’ai besoin de me défiler. L’ambiance dans la pièce est lourde, du moins c’est ainsi que je la sens de mon côté. Je repense à ce que disait mon collègue. Finalement si, voir mon ex c’est peut-être pire que me faire tirer dessus.

Je passe une main dans mes cheveux et me gratte la nuque, un peu embêté. Je devrais partir sur-le-champ mais j’ai un pressentiment qu’elle va me dire de rester. Je pourrais très bien partir quand même et ne pas l’écouter, mais je n’ai pas envie d’avoir le droit à une nouvelle scène de sa part. Je me rappelle de sa crise de la dernière fois. Bien sûr elle était en état de choc, mais ça reste tout de même que connaissant Azalyne, elle pourrait bien réagir ainsi dans son état naturel. « Je suis désolé pour cette histoire au bar. J’étais saoul, ça aurait jamais dû arriver. Je pensais pas ce que je disais. » Je ne me rappelle pas la moitié des choses que je lui ai dites. Je sais seulement que c’était assez méchant. Je croise légèrement les bras, puis regarde la jeune femme qui continue de préparer ses affaires. Je ne veux pas avoir à sortir de la chambre en même temps qu’elle, je sais trop bien comment ça va se terminer. Elle va probablement proposer que l’on se rencontre et je vais me sentir mal de refuser. Après tout elle sort tout juste de l’hôpital. Je regarde le lit défait, cherchant une excuse pour me tirer d’ici vite fait.

Je m’excuse pour ce que je lui ai dit au bar. C’est normal, car je ne le pensais pas. Ce que j’ai dit était sans doute exagéré et ne devait probablement servir qu’à la blesser. Toutefois, quand elle s’assoit sur le lit et ouvre la bouche pour me répondre, je regrette aussitôt mes excuses et ma mâchoire se resserre. Il faut que je reste calme, mais son attitude m’énerve. En fait, les quelques fois où je l’ai revue depuis notre rupture ont toujours été pareilles. Bien sûr au bar j’ai agi comme un salaud, mais ce n’est pas elle la victime dans cette histoire. Elle a créé son propre malheur. Les sourcils toujours froncés, je l’écoute me raconter que c’est faux, que je pensais tout ce que j’ai dit mais que ce n’est pas grave car elle apprend de ses erreurs. Je ne crois pas qu’elle apprenne réellement de ses erreurs, puisque pourtant elle continuait à se bourrer de pilules avant de manquer de crever. Tout ça, c’est des conneries. J’ai de plus en plus envie de sortir de la chambre avant d’exploser, car maintenant j’ai l’impression que je ne serai pas très tendre. Je suis quelqu’un de calme et de patient, en général, mais je commence à en avoir marre de son attitude, qu’elle fasse tout le temps la victime. Elle n’est pas une victime, elle crée elle-même les problèmes et ensuite, elle pleure et se demande pourquoi les choses vont mal. Je suis tellement plongé dans mes pensées que je ne remarque même pas qu’elle s’est levée et a glissé sa veste sur ses épaules. Elle reprend à nouveau les paroles, et je comprends rapidement à quoi elle fait allusion. Elle parle de cette fois où je lui ai porté secours, où je lui ai sauvé la vie lors de son accident de voiture. Quand j’y repense maintenant, c’est tellement loin. J’allais la voir tous les jours ou presque quand j’en avais l’occasion, lui apportant des fleurs même si elle n’avait alors pas conscience que j’étais là. Je n’étais qu’un inconnu à cette époque-là et tout le monde me répétait que je perdais mon temps. Et pourtant je ne démordais pas. Aujourd’hui je me demande bien pourquoi. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis. Notre relation a changé et a passé par de nombreux stades. Je comprends où elle veut en venir. On dirait bien qu’elle tente de me faire sentir coupable, en fin de compte. Seulement je ne me sens pas coupable. « Arrête de jouer à la victime Azalyne, tout ça c’est ta faute et tu le sais bien. » Les mots sont sortis sèchement, sans être trop durs toutefois. « Je pensais pas un mot de tous ces trucs horribles que j’ai pu te dire au bar, ok? Je m’en souviens même plus, je sais seulement que j’ai pas été correct. En fait, je sais même pas pourquoi je perds mon temps à m’expliquer, ça sert plus à rien. » Je marche en direction de la porte, puis alors que je viens pour franchir le seuil de celle-ci, je me rétracte puis me tourne à nouveau. Il faut que je déballe tout ça une fois pour toutes. « Je te l’avais dit, que je supporterais pas de me faire tromper une nouvelle fois. Par n’importe qui. T’as pas respecté ça. Tu es allée voir ce gars, pis en plus tu t’es mis à prendre ces foutues pilules. Tu dis que t’apprends de tes erreurs, hein? Bah on dirait pas puisque regarde où ces saloperies t’ont menée! J’étais prêt à te donner une deuxième chance quand tu m’as avoué que tu l’avais embrassé. Puis après, t’es revenue et tu avais couché avec lui. J’peux tolérer un tas de trucs, mais ça, je peux pas. On a tous nos limites et là, tu les as franchies. » Je marque une pause. Je tremble légèrement sous l’énervement. Ça me tue de lui dire tout ça, j’aurais aimé ne jamais avoir à en arriver là, mais pourtant il le faut bien, non? « T’as aucune idée comme ça m’a fait mal. Comme ça me fait encore mal. J’t’aimais comme un malade, moi. J’aurais fait n’importe quoi pour toi, et t’as tout brisé super égoïstement. Quand je suis venu te voir la dernière fois, c’était parce que je m’inquiétais pour toi. J’suis revenu aujourd’hui en pensant que ce serait mieux, que tu serais moins énervée que la dernière fois. C’est tout. Y’aura toujours une partie de moi qui va s’inquiéter pour toi, Azalyne. Mais j’peux plus te faire confiance. Pas après ce qui s’est passé, ça c’est impossible. » J’enfouis mes mains dans mes poches pour ne pas qu’elle remarque qu’elles tremblent. Pas de peur, mais d’énervement. Ça m’a pris toute mon énergie pour ne pas exploser et garder mon calme. Si elle décide d’exploser, je vais exploser aussi.