Avant de réellement commencer, je vais vous raconter vaguement mon enfance, qui étaient mes parents, ce qu’ils faisaient dans la vie et tout ça. Peut-être qu’ensuite ça vous donnera une petite idée du décor dans lequel j’ai grandi.
Je suis né ici même dans la ville de Siloam Springs il y aura bientôt trente-deux ans. Ma mère était femme au foyer et l’est toujours d’ailleurs tandis que mon père, lui, était soudeur dans une usine. Il est décédé il y a quelques années déjà des suites d’un cancer des poumons. Il avait fumé toute sa vie et le fait de travailler dans la poussière ne l’a sûrement jamais aidé. J’ai aussi un petit frère et une petite sœur, tous les deux ont quitté la ville pour leurs études et ne sont jamais revenus. Ma sœur a deux enfants et est mariée et mon petit frère change de petite amie comme de chemise. Il a toujours été un dragueur, ma mère disait qu’il tenait ça de son oncle, le frère de mon père. Elle ne l’a jamais vraiment apprécié, celui-là. En fait, elle est pas mal sélective et déteste beaucoup de monde. La vieille bonne femme acariâtre, vous voyez un peu le genre. Depuis que les autres sont partis, c’est moi qui doit lui tenir compagnie. Inutile de vous dire que c’est une professionnelle dans l’art de ne se mêler de ce qui ne la regarde pas.
Bref, assez parlé de ma famille, passons aux choses sérieuses.

J’étais un enfant assez turbulent à l’école. Pourtant, je n’ai jamais eu de problèmes avec l’autorité puisque mes notes étaient excellentes, au grand désespoir de mes professeurs qui ne pouvaient donc que me reprocher de faire l’idiot en pleine classe. Ça rendait mes parents fous mais pourtant ça semblait plaire aux jeunes de mon âge, puisque j’étais assez populaire et avais pas mal d’amis à cette époque-là. Il faut dire qu’enfants, tout le monde est ami avec tout le monde, mais je dirais sans hésiter que j’étais un enfant « cool » dans la cour d’école. Je ne me vante pas, bien sûr. C’est simplement pour vous donner une idée.
Adolescent, j’aimais bien les ennuis et je m’entraînais déjà. Inutile de vous dire que j’aimais aussi à cette époque donner des raclées à des gens qui n’en méritaient pas forcément, et que j’ai agis pas mal stupidement. Pourtant, ma vie a changé drastiquement à mes seize ans. Je suis descendu de mon piédestal et le cancre s’est calmé légèrement. Mon cercle d’amis s’est resserré un peu, les moins cons restant à mes côtés et tout ça pour une raison. Mon père est décédé soudainement d’un cancer des poumons. Il n’allait pas très bien depuis longtemps déjà, mais il n’en parlait pas et refusait d’aller chez le médecin. Les soins auraient coûté beaucoup trop cher de toute façon. Alors du jour au lendemain, je me retrouvais « l’homme de la maison ». C’est en voyant ma mère à l’enterrement que je me suis juré de ne pas la décevoir.
Je crois encore aujourd’hui que sans cette expérience, je ne serais pas où je suis aujourd’hui, et je n’aurais certainement pas fait l’école des pompiers.

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Durant mes premières années comme pompier, j’ai pas mal abusé de mon statut et comme la plupart des nouveaux, j’ai flirté à gauche et à droite sans avoir à me préoccuper de quoi que ce soit. J’ai même fait les calendriers au début, jusqu’à ce que je rencontre mon ex-petite-amie. C’était le genre de fille pas mal possessive et jalouse, donc j’ai rapidement fait une croix sur ce genre de choses. Pendant plus de deux ans, les gens autour de moi m’ont répété qu’elle n’était pas bien pour moi, qu’elle me trompait et me manipulait tandis que je restais naïvement en lui faisant confiance. Puis un jour, j’ai dû ouvrir les yeux lorsque son amant est venu sonner à la porte pour m’avouer toute l’histoire, n’en pouvant plus de mentir sur leur relation.
Ensuite, j’ai préféré les histoires d’un soir sans engagement, trouvant cela trop compliqué. J’ai eu quelques petits accrochages ici et là, mais jamais rien de durable. Je n’ai jamais été très fort en amour, en ce qui a trait à garder une relation en tout cas. De toute façon, je suis beaucoup trop occupé avec le travail pour considérer ce genre de chose.

Du moins c’est ce que je me disais encore il y a quelques mois. Ce soir-là, alors que j’étais de garde à la caserne et que l’alarme a sonné, je n’avais aucune idée que ma vie serait changée littéralement. Il y avait eu un accident de voiture, une perte de contrôle à cause de la pluie. Le passager avait bu mais la conductrice était en état de conduire. La conductrice, je la connaissais. Je l’avais vu plus d’une fois à l’hôpital, on avait déjà discuté quelques fois de tout et de rien. Le fait de la voir dans cet état-là, être transportée à son tour pour être soignée sans que l’on puisse garantir quoi que ce soit sur son rétablissement, c’était douloureux. Pourtant c’est mon job de voir des catastrophes. Ce soir-là, je l’ai pris personnel. Et j’ai décidé d’aller la voir le lendemain matin pendant les heures de visite pour prendre des nouvelles. J’ai continué mon petit rituel pendant tout le temps avant qu’elle ne se réveille, emmenant une fleur tous les jours. Mes amis et collègues se moquaient de moi par moment car ils ne comprenaient pas trop ce que je fabriquais à emmener des fleurs à une inconnue, mais je ressentais le besoin de le faire. Puis un matin, j’ai appris qu’elle était réveillée. J’ai pris peur et je suis parti sans aller la voir. Je ne voulais pas lui donner d’explications, j’avais peur qu’elle soit offusquée ou qu’elle ne comprenne pas. J’ai tout simplement arrêté de la visiter. Seulement, j’aurais dû réfléchir un peu plus, et un soir, alors que je finissais mon quart après être allé porter des blessés d’un face à face, je me retrouvai nez à nez avec la jolie infirmière qui semblait avoir pris du mieux. En quelques secondes, j’avais rendez-vous pour prendre un café avec elle. Je ne savais pas trop comment réagir, mais finalement après avoir discuté avec elle, les choses sont devenues encore plus compliquées.

Azalyne est devenue proche, trop proche. Je ne pouvais pas me résoudre à lui dire que je l’aimais, c’était illogique, je l’écoutais me parler de son petit ami dans le coma et de ses espoirs qu’il se réveille et que tout redevienne normal. Je ne pouvais pas lui faire ça. Puis son copain s’est réveillé, mais il n’avait plus de souvenirs d’elle. Aucun. Ça l’a détruite et du coup, moi aussi. J’ai donc tenté du mieux que je pouvais de la consoler et de l’appuyer. Elle avait besoin d’un ami, alors j’ai jugé qu’il était mieux de ne toujours rien lui dire. Je sais qu’elle doit s’adapter, mais la regarder collectionner les aventures me tue et de savoir que même si je lui répète d’être prudente et de ne pas trop faire la fête, elle ne m’écoutera pas parce que pour elle je ne suis qu’un bon ami qui ne veut que sa sécurité, et c’est douloureux. Pourtant, on dirait qu’elle est la seule à ne pas en être consciente. Je ne sais pas, je ne sais plus.