Alors que je déambule dans le jardin. Je vois Mauve arriver. Elle me tape sur le torse avec ses petits poings. Elle a l’air très en colère mais la force de ses coups ne suit pas vraiment… Ça me fait rire mais je préfère ne pas la mettre plus en colère en me moquant. « C’est de votre faute tout ça ! Je vous déteste ! ». J’arrête son poing très facilement et l’autre aussi. Je l’immobilise et je me rapproche d’elle. Je plonge mon regard dans le siens : « Ressaisis toi ! Tu es en train de chercher des responsables. A quoi ça t’avance ? Oui c’est ma maison et alors ? Tu crois que c’est moi qui ai fait tomber le lustre ? ». Quand elle semble ne plus lutter je la relâche lentement mais reste très près d’elle. Une distance qui établit une tension plutôt forte. « De toute façon, ton pote Aedan en est sorti vivant. C’est tout ce qui compte non ? » Mais l’homme lézard… ? Je ne pense pas l’avoir vu sortir. Elle avait l’air vraiment désespéré, la douleur se lisait dans ses yeux. J’étais franchement tirailler. Qu’est-ce que je devais faire ? Continuer de regarder faire sans intervenir ? La réconforter ? L’aider ? Parler de ce qui s’était passé plus tôt ? Je la perce une nouvelle fois du regard : « Qu’est-ce que tu attends de moi ? Me mettre la faute sur le dos n’était qu’un prétexte pour venir me voir pas vrai ? Qu’est-ce que tu me veux ? »

Cette soirée était pour moi une crise existentielle à elle toute seule. Cette fille était ma crise existentielle.

« J'avais peut-être envie de vous sauter dessus. C'est vrai quoi, vous êtes pas trop moche ! ». Je ne peux m’empêcher de sourire à cette petite blague. Et à cela je lui réponds : « Tu sais où j’habite maintenant !» suivi d’un clin d’œil volontairement exagéré. Elle a l’air d’avoir du mal à gérer ses larmes. Je lui tends un mouchoir en tissu propre. Il doit coûter une blinde d’ailleurs, comme tout ce que je possède… « Tiens, tu peux le garder. ». Je sens mon regard s’attendrir non volontairement.

Elle reprend la conversation plus sérieusement. « Vous avez pas la tête d'un enfant de cœur à aider les autres, ça c'est sûr. » Puis elle fait exploser sa bombe : « En fait, on dirait que vous vous en foutez, que vous êtes tout seul et que ça vous va très bien. » Mon sourire s’efface plus vite que je ne l’aurais voulu. J’ai beau prétendre m’en foutre, savoir tout ce que j’ai perdu me fait toujours une pointe au creux de ma poitrine. Là où j’ai laissé mon cœur pourrir. Mes yeux sont légèrement humides. Je lui pose une main sur l’épaule et me rapproche encore plus. Je ne chuchote pas mais je parle plus bas, plus calmement. Le temps semblait être à la confidence… « Il y a longtemps, je faisais attention aux choses, aux gens… C’est la pire erreur que tu puisses faire. Le détachement est une règle de survie. » Je marque une pause et je ravale ce qui semble être un sanglot. Je baisse les yeux une fraction de seconde, pour chercher mes mots. Les souvenirs sont parfois pires que les cauchemars. Je relève mes yeux vers elle. Ils sont encore plus trempés. « Tu peux me trouver dur, de dire de telles choses. C’est vrai. Mais si j’ai appris une chose, c’est la suivante : Perdre quelqu’un qui t’es cher, c’est une souffrance qui reste avec toi. Chaque moment de ta vie, elle est présente. Elle ne te quitte pas. Te rappelant toujours comme il est facile d’être blessé. » Ce que je viens de dire, c’était mon cœur qui parlait. Je pense qu’elle l’avait compris. Sonder dans mon cœur, c’était comme sonder l’abime. Elle était sans doute horrifier. Elle ne devait pas s’attendre à une telle noirceur. « Sauf que... Sauf que vous êtes pas tout seul. ». Je ne peux réprimer un rire. Pas un rire joyeux non. Un rire amer, triste. Le genre de rire qui ajoute une entaille à ton cœur déjà trop de fois meurtris. Je lui montre ma maison, toujours avec ce sourire sarcastique : « Cette villa… immense… Je la partage avec ma solitude. Chaque jour, je me lève et elle ne me quitte pas. Du matin jusqu’au soir. J’invite des gens, que je méprise. Pourquoi ? Parce que je n’en peux plus d’être seul. Et pourtant, je suis condamné à être seul. Pour l’éternité ! » Je hausse le ton, pas en colère contre elle, contre moi, contre tout. « Un jour, j’ai trouvé une échappatoire à cette vie de malheurs. Elle est morte. Elle m’attendait. Elle était comme un phare dans la nuit de mon existence. Espérant un jour me voir arriver chez elle. Construire quelque chose, une vie. Si… si j’étais venu à elle… si j’étais venu à elle… Elle n’aurait pas pris la route pour me rejoindre. Elle n’aurait pas trouvé un chauffard au détour d’un virage. C’est mon secret Mauve. Je détruis tout ce que je touche. Alors si. Je suis seul. » A la fin de cette tirade, j’ai un air totalement dégouté. Une unique larme coule de mes yeux. C’était sans doute la plus douloureuse de toutes celles que j’ai pu avoir jusqu’alors.

Elle ne dit plus rien. Elle me regarde simplement. Je ne sais pas ce que son regard veut dire. Tous ces souvenirs qui reviennent… Je savais que c’était une mauvaise idée de rester ici. Que faire ? Partir maintenant ? Prendre la voiture et oublier ce qui s’est passé. Mais j’étais si fatigué de voyager dans tout le pays. Et le nombre de villes non visitées commençaient à se compter sur les doigts de la main… Mais ça sera toujours mieux que de rester ici. Cette ville, elle me pousse à bout.

C’est décidé, je me ca… Qu’est-ce qu’elle fait ? Mauve s’approche de moi. Ses intentions sont imperceptibles. Ses bras m’entourent et elle se pose contre moi. Aussi con que cela puisse paraître, je suis terrifié à cette idée. Terrifié que quelqu’un me porte un minimum d’attention. Terrifié que quelqu’un puisse, l’espace d’un instant, se rapprocher de moi. Chacun de mes nerfs me hurlent de partir. La repousser et partir… C’est ce que je vais faire. Aller…

Hum… J’en suis incapable. Je n’y arrive pas. Et malgré toute la crainte que j’éprouve en ce moment, aucun de mes muscles ne réagit. A l’intérieur de moi, tout tremble. C’était le geste ultime. Le geste qu’il fallait pour venir à bout de ce barrage. Ce barrage de glace que j’ai construit, 10 ans en arrière, pour retenir à jamais mes sentiments. J’ai l’impression de mourir. C’est en fait ce barrage qui éclate. Un flot ininterrompu de souvenirs et de tristesse se déverse alors. Je suis accablé par tout ce que j’avais juré d’oublier. Tout remonte : jeunesse difficile, mort de mon père, suicide de ma mère, amis perdus, amour de ma vie oblitéré… Cette fois, et pour la première fois depuis longtemps, je pleure. Pour de vrai. Sans retenir mes larmes. Seul le bruit de mes sanglots est diminué. J’avais oublié à quel point je détestais pleurer. Je ne sais pas si elle sait ce qui se passe en ce moment, je ne sais pas si ma tentative de ne pas attirer l’attention fonctionne, mais elle continu de me serrer. Et je n’ai pas la force de la repousser.
Ce n’est pas la première fois que je suis seul au fond de moi. Mais c’est la première fois que ça me fait aussi mal, la première fois que cela a autant de sens. J’aimerai dire quelque chose, mais aucun mot ne sort de ma bouche